Vérité et Méthode les
grandes lignes d'une herméneutique philosophique Hans- Georg
Gadamer
Première partie
Dégagement de la question de la
vérité : l'expérience de l'art
-Dans
la phénoménologie de l'esprit , Hegel montre que l'essence du
travail est de donner forme à la chose au lieu de la consommer. En
donnant forme à l'objet , c'est à dire en agissant de manière
désintéressée et en fournissant quelque chose qui est universel,
la conscience laborieuse s'élève au delà de l’immédiateté de
son existence, à l'universel ou ; selon l'expression de Hegel,
en donnant forme à la chose, elle se forme elle-même.
- « Le sens esthétique ne se réduit pas à une dotation
de la nature , c'est à juste titre que nous parlons non pas de sens
mais de conscience esthétique. Ce qui n’empêche pas cette
conscience d'avoir à faire à l'immédiateté des sens : dans
le cas singulier elle sait démêler et apprécier avec assurance ,
alors même qu'elle ne peut pas donner ses raisons »
-La conscience formée ne l'emporte qu'en un point sur les sens
naturels : ils sont limités à une sphère naturelle alors que
celle-là est active dans toutes les directions. C'est un sens
universel. Un sens universel et commun .
-La formation du sensus communis ne se nourrit non pas de vérité
mais de vraisemblance. Le sensus communis est la racine commune des
sens extérieurs ou plus précisément, le pouvoir qui les combine,
qui juge du donné, faculté dont tous les hommes sont dotés.
-Baumgarten : « L'appréciation sensible de la
perfection s'appelle le goût. »
-Ce qui se produit sous le signe du goût, c'est l’aptitude à
prendre distance par rapport à soi et à ses préférences
individuelles. Ainsi comme le veut son essence la plus propre, le
goût n'est pas quelque chose de privé, c'est un phénomène social
de premier ordre. Il peut même, à la manière d'une instance
judiciaire , s'imposer à l'inclination de l'individu , au nom d'une
universalité qu'il vise et défend. En matière de goût , il y a
comme on le sait aucune possibilité d'argumentation. (Kant dit avec
raison qu'en ce domaine il y a dispute et non « disputatio ».
-Le concept de génie ne fait rien de plus que de mettre
esthétiquement les produits des beaux-arts sur le même pied que la
beauté de la nature. ( créant avec une assurance de somnambule
l’œuvre qui devient expérience vécue pour celui qui la reçoit)
-Le symbole est coïncidence du sensible et de ce qui ne l'est pas
tandis que l'allégorie est référence, riche de sens , du sensible
à ce qui ne l'est pas.
- « La mythologie en général et chacune de ses
créations en particulier est à saisir non pas comme schème ou
comme allégorie mais comme symbole. Car ce qu'exige la présentation
artistique pure, c'est l'exclusion de toute différence, c'est à
dire précisément que l'universel soit totalement le particulier et
de même que le particulier soit intégralement l'universel, au lieu
de se borner à le signifier. » Schelling
-Kant comprend comme « critique du jugement esthétique »
la doctrine du beau et du sublime dans la nature et l'art. Schiller
fait de la pensée transcendantale du goût une exigence morale et
l'exprime sous la forme d'un impératif : conduis-toi
esthétiquement !
-Ne faut-il pas aussi admettre que le concept de vécu esthétique
comporte la même chose que la perception:comme elle, il accueille du
vrai et reste ainsi lié à la connaissance . Notre perception ne se
borne justement jamais à refléter ce qui est donné aux sens .
Et il n'y a pas d'avantage de doute que sous la conduite de ses
anticipations, la vision « révèle » ce qui n'est
absolument pas là. Aussi, le mode d'être de ce qui est perçu
« esthétiquement » n'est pas la présence pure.
- « Quand il s'agit de présentation riche de sens, par
exemple, dans le cas des œuvres plastiques, dans la mesure où elles
ne donnent pas dans l'abstraction du non- figuratif, c'est la
richesse de sens qui dirige manifestement la lecture de ce qui se
voit. C'est seulement quand nous « connaissons » ce que
l'image présente que nous sommes en mesure de la « lire »,
bien plus, c'est alors seulement qu'au fond l'image en est une. Voir,
c'est articuler. »
...c'est seulement quand nous comprenons un texte et maîtrisons donc
au moins la langue dans laquelle il est écrit qu'il peut être pour
nous une œuvre d'art
… La
perception saisit toujours du sens .
-L’œuvre d'art n'est qu'une forme vide, de simple point de
jonction de vécus esthétique, qui sont les seuls lieux où l'objet
esthétique puisse trouver présence […] la discontinuité absolue,
c'est à dire la décomposition de l'unité de l'objet esthétique en
la multiplicité des « vécus » est la conséquence
nécessaire de cette esthétique.
- « Ce n'est que si l'on saisit bien le sens moyen du jeu
que l'on peut appréhender son rapport à l'être de l’œuvre
d'art. En tant que jeu sans cesse repris, sans but ni intention, ni
effort la nature peut franchement être considérée comme un
prototype de l'Art. » « Tous les jeux sacrés de l'art ne
sont que de lointaines imitations du jeu sans fin du monde, cette
œuvre d'art qui éternellement se donne forme. »
Le jeu c'est représenter, se représenter quelque chose. Or
« représenter » c'est toujours virtuellement représenter
pour quelqu'un. La visée de cette possibilité comme telle est
constitutive de ce qui est propre au caractère ludique de l'Art.
Le jeu culturel et le jeu théâtral ne représentent évidemment pas
dans le même sens que l'enfant qui joue. Ils ne s'épuisent pas dans
ce qu'ils représentent mais renvoient au-delà d'eux-même à ceux
qui y prennent part comme spectateurs. Le jeu, ici, n'est plus la
simple auto-représentation d'un mouvement ordonné, ni non plus dans
la simple représentation dans laquelle l'enfant qui joue se perd, il
est un « représenter pour ... » Cette assignation propre
à toute représentation trouve ici pour ainsi dire sa réalisation
et devient constitutive de l'être de l'art.
-Nous avons vu que l'être du jeu ne réside pas dans la conscience
ou dans la conduite de celui qui joue, mais qu'il attire, au
contraire, celui-ci dans son domaine et le remplit de son esprit.
Celui qui joue éprouve le jeu comme une réalité qui le dépasse.
Ce que l'on reçoit essentiellement d'une œuvre d'art et ce à quoi
on prête attention, c'est au contraire, la manière dont elle est
vrai,c'est à dire, la mesure dans laquelle on y connaît et
reconnaît aussi bien soi-même que quelque chose.
-Ce n'est jamais uniquement dans un monde étranger de magie,
d'ivresse, de rêve que l'exécutant , le sculpteur ou le spectateur
sont ravis ; c'est toujours à leur monde propre qu'ils
continuent à être réunis de manière plus authentique, dans la
mesure où ils s'y reconnaissent plus profondément. Il subsiste une
continuité de sens qui relie l’œuvre d'art au monde de
l'existence, et dont même la conscience aliénée d'une société
cultivée ne se détache jamais complètement .
-La représentation par l'image est un cas particulier de la
représentation comme événement public. Mais celle-ci a un effet
rétroactif sur celle là. Celui dont l'être implique aussi
essentiellement qu'il se montre ne s'appartient plus. Il ne peut, par
exemple, absolument pas éviter d'être représenté en image et
puisque ces représentations déterminent l'image qu'on a de lui, il
doit finalement se montrer tel que son image le prescrit. Aussi
paradoxal que cela puisse sembler, ce n'est qu'à l'image que le
modèle doit de devenir image...et pourtant l'image n'est rien
d'autre que la manifestation du modèle. L'image religieuse met
pleinement en valeur la véritable puissance ontologique de l'image.
Comme le souligne la déclaration célèbre d'Hérodote, selon
laquelle les Grecs devraient leurs Dieux à Homère et Hésiode qui
les auraient créés.
- « Une image n'est certainement pas un signe car l'image
renvoie à quelque chose en y faisant séjourner. C'est que l'image
n'est tout simplement pas séparée de ce qu'elle représente, elle a
part à son être. Nous avons vu que dans l'image le représenté
parvient à son être même. Il subit un accroissement d'être. »
- A la différence du signe, le symbole ne renvoie pas seulement à autre chose , c'est en « tenant lieu » qu'il représente. Or tenir lieu signifie rendre présent ce qui ne l'est pas. Les symboles, d'eux-même ne disent rien sur ce qu'ils symbolisent. Il faut les connaître comme il faut connaître un signe si on veut savoir ce à quoi ils renvoient. En ce sens, ils ne signifient pas un accroissement de l'être pour le représenté. L'image en revanche, exerce bien , elle aussi une fonction de représentation mais elle l'exerce par elle-même, grâce au surcroît de significations qu'elle apporte. En elle, le représenté, le modèle est d'avantage présent, de manière plus authentique, tel qu'il est en vérité. Ainsi, l'image occupe une position intermédiaire entre le signe et le symbole. Pour elle, représenter n'est ni simple renvoi ni simple suppléance. Cette situation intermédiaire qui est la sienne est précisément ce qui l'élève à un statut ontologique qui lui est propre.
- L'art est un cas privilégié de compréhension. Il n'est pas un simple objet de la conscience historique or sa compréhension inclut toujours une médiation historique.
- « Une œuvre d'art est, elle aussi, enracinée dans son
terrain et dans son sol, dans son environnement. Elle perd déjà sa
signification quand elle est arrachée à ce milieu et mise en
circulation, elle est comme quelque chose que l'on a sauvé du feu et
qui porte désormais la marque de ses brûlures. »
Schleiermacher
-Une telle définition de l'herméneutique n'est pas moins absurde
que le serait la restitution ou la restauration de la vie passée. La
tentative du rétablissement des conditions originelles est une
tentative que l'historicité de notre être voue à l'échec. Cette
vie que l'on a rétabli n'est pas la vie originelle et elle ne fait
qu'acquérir une existence seconde dans la culture.
Hegel propose une autre possibilité : celle d'équilibrer les
gains et les pertes de l'entreprise herméneutique.
« Les œuvres des Muses[...]sont désormais ce qu'elles sont
pour nous : de beaux fruits détachés de l'arbre. Ainsi le
destin ne nous livre[...]seulement le souvenir voilé de cette
réalité »
par là Hegel exprime que l'essence de l'esprit historique ne
consiste pas dans la restitution du passé, mais dans la médiation
réfléchie avec la vie présente.
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