- WEB GALLERY OF ART:
Il s'agit d'un moteur de recherches iconographiques en peintures et
sculptures européennes vraiment très très bien, complet, avec des
reproductions de très bonne qualité, souvent il y a des détails, et
parfois même des notices. Il recense
une majorité d’œuvres allant de la fin du Moyen âge jusqu'au début du
XXe siècle (de "1000 à 1900"). Il est en anglais, c'est un site
d'initiative privée.
Voici le lien: http://www.wga.hu/index.html
- AGENCE PHOTOGRAPHIQUE DE LA RMN:
Un site cette fois d'initiative publique. C'est également un moteur de
recherche, qui se focalise en revanche sur les collections publiques
françaises, mais sur toutes les périodes concernées (toutes collections
confondues). De même que pour wga.hu,
les reproductions sont de très bonne qualité, avec des notices
techniques détaillées. Il y a également un onglet "portfolios" qui
propose des balades thématiques dans les collections, avec toujours une
petite présentation.
Voici le lien: http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/Home.aspx
Bienvenu sur ce blog réalisé par les étudiants de l’Université Rennes 2 qui préparent le concours de l’agrégation arts plastiques, et qui a pour but de mutualiser et partager des savoirs relatifs à ce concours.
Un grand nombre des articles que vous trouverez ici vous présenteront des fiches de lecture concernant les livres indiqués dans les différentes bibliographies relatives aux épreuves écrites.
N’hésitez pas à ajouter vos commentaires, indications et liens utiles.
jeudi 20 décembre 2012
Opacité de la peinture - Louis Marin
Louis Marin, Opacité
de la peinture, Essai sur la représentation au Quattrocento, Usher, 1989.
Cliquez sur les liens pour voir les images.
Résumé (fait
par l’EHESS) :
Procédant à rebours, Louis Marin projette sur les œuvres
italiennes du Quattrocento la théorie du signe et de la représentation élaborée
à Port-Royal au dix-septième siècle. Il dévoile les ruses par lesquelles
l’image parvient à s’imposer comme vraie du point de vue de la perception, mais
aussi et surtout du point de vue de la légitimité politique et religieuse qui
l’autorise. Comment la peinture d’histoire parvient-elle à se présenter comme
objective et vraie ? Comment la peinture religieuse peut-elle figurer des
mystères ? Comment l’auteur, le peintre, parvient-il à trouver une place dans
sa peinture ?
Le recueil s’ouvre sur une théorie autonome
de la représentation. Louis Marin y analyse trois fresques peintes au tournant
du quatorzième siècle. Ces structures prennent tout leurs sens dans l’opération
de recomposition qu’elles proposent au spectateur et que Marin analyse dans
les détails. Conduite à partir d’une méthodologie d’analyse structurelle des
textes, la deuxième partie s’attache davantage à l’opération de mise en figure
des quelques récits fondateurs de la religion chrétienne. Chacun des six
chapitres du livre est introduit par une partie théorique qui situe l’objet de
l’analyse dans le débat très intense qui caractérisait la fin des années 1980.
Introduction
Œuvres étudiées par le prisme de la
sémiotique, théorie de la représentation et du signe, du signe comme
représentation.
Il s’ait de la rencontre de l’ange
annonciateur de la naissance de Jésus avec la Vierge Marie à l’instant où elle
conçoit sous l’ombre du Saint-Esprit. Histoire racontée par Luc.
Entre l’ange et la Vierge on trouve
Luc adossé à son bœuf. Entre les figures des acteurs narratifs sur la scène de
la représentation, l’artiste a placé le narrateur du récit. Il se prépare à
écrire le récit sur le rouleau déroulé. Le rouleau est encore vierge de
signes :
p.11-12 :
« Luc n’a rien écrit : comment l’aurait-il pu puisque l’évènement
qu’il doit raconter en l’enregistrant dans les formes de l’histoire est en
train de se dérouler sur la scène représentative ? »
L’ange semble même dicter à Luc les
paroles qu’il prononce : « Ave Maria gracia plena » :
court-circuit entre la scène de l’histoire, celle de l’évènement et la scène du
récit. Luc est aussi le saint patron des peintres.
p. 12 :
« Luc est aussi dans l’œuvre de Bonfigli la figure de
l’ « énonciateur », mais d’un énonciateur double : il est
la figure du narrateur du récit écrit/à écrire, celle de son historien ;
mais il est aussi la figure de son peintre qui donne à voir
l’ « histoire » dont le récit est enregistré dans la Sainte
Ecriture. »
Luc = troisième acteur de
l’Annonciation. Ce faisant, il rompt la cohérence proprement narrative du récit
représenté.
p.12 :
« Il ouvre, à l’égal de Dieu le Père dans le ciel, concepteur transcendant
du Fils dans la Vierge, l’abîme de l’énonciation dans l’énoncé narratif que
l’image ici représente : double interruption par l’intervention d’une
figure du scripteur de l’histoire qui est en même temps une figure du peintre
concepteur du tableau ici introduit non par son image, son portrait (ainsi
Pinturicchio dans l’Annonciation de
Spello), mais par l’effigie du patron des peintres, Luc, qui pourtant ne peint
pas, mais écrit ; qui écrit toutefois sans écrire (il n’a encore rien
écrit) ; il écrit dans le silence du dire d’un dit « en blanc »,
silence de la poésie muette qu’est la peinture. »
Première
partie, Les architectures de la représentation.
Luca Signorelli à Lorette (c.
1479-1484) (coupole et parois de la sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, dans le sanctuaire de N.-D. de Lorette, v.1479)
I.
Le
« texte » passé comme objet théorique contemporain.
Fresques
de Signorelli à Lorette : problème de la relation entre la théorie
sémiotique contemporaine et le texte littéraire passé.
p. 16 :
« L’hypothèse implicite est donc la suivante : 1) le texte
littéraire, objet de langage et langage-objet immergé dans l’histoire et
considéré immédiatement comme tel, recèlerait dans l’immanence de ses formes et
de ses images, le métalangage qui en permettrait l’interprétation, les
principes et les procédures qui en fourniraient la compréhension, la théorie
qui en offrirait l’explication ; 2) le métalangage dessinerait – à
l’explicitation près – un des profils possibles de la théorie
contemporaine. »
p. 17 :
« D’où la question posée sur un texte « iconique » singulier de
la fin du Quattrocento – les fresques de Signorelli à Lorette : à quelles
conditions historiques et théoriques
un texte peut-il se constituer en un objet
théorique, qui serait ainsi le produit commun de la force et du déplacement
du texte littéraire ou artistique passé et de la théorie sémiologique
contemporaine, de leur mise en travail réciproque ? »
« Comment
donc le texte passé « devient-il » « objet
théorique » ? »
p. 17 :
« Toute œuvre littéraire ou artistique n’existe que comme signe et
agencement déterminé de signes. […] Mais, en outre, tout énoncé dit quelque
chose de son énonciation, il la commente, la décrit, il la montre par le fait
même qu’il existe en tant qu’énoncé (vorweisen, to show). […] Le
discours-fait-texte qu’est toute œuvre littéraire ou artistique peut donc ainsi
être considéré comme un ensemble d’énoncés qui à la fois disent quelque chose (assertent,
ordonnent, interrogent, expriment…) et montrent
qu’ils disent quelque chose. […] l’objet
théorique se construira dans une œuvre déterminée à partir de l’ensemble des
énoncés qui en réfléchiront l’énonciation. »
Dimension de
« réflexivité interne ». Réflexion du texte sur lui-même.
« texte
iconique »
Chez Marin,
la notion de texte recouvre aussi celle du discours artistique par le biais de
l’expression « texte artistique » ou « texte iconique » (=
image).
II.
La
coupole : architecture et décor.
v. 1479.
Sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, au sanctuaire de N.-D. de Lorette.
Commanditaire : cardinal Girolamo Basso della
Rovere.
p. 22: « Deux
schèmes concourent à la constitution de l’œuvre étudiée : l’un, schème
organisationnel, qui définit la structure théorique du texte iconique ;
l’autre, schème d’inscription de ce texte, qui en propose la paradigmatique de
surface. Le premier définit une structure, c’est-à-dire un groupe spécifique de
transformation ; l’autre propose les figures qui, dans leur espace propre,
en opèrent l’investissement historique et idéologique. »
III.
Les
anges et la coïncidence des opposés.
Juste autour
de la clé de voûte : anges musiciens, (p.23), « au plus proche du
point théophanique ». « Figuration possible de la musique qui anime
la sagesse éternelle de Dieu comme celle qui règle l’ordre et les mouvements
célestes. »
« double
imitation humaine de la musique divine : la plus haute en dignité est
celle du vers et du mètre, la plus basse celle des voix et des
instruments ; c’est cette double analogie imitative qui est offerte à la
contemplation par la première couronne figurative de la coupole avec les huit
figures des anges instrumentistes (imitation inférieure), les proportions qui
rythment leur disposition et avec la métrique des membrures architectoniques
qui en scandent la composition (imitation supérieure). Anges tout de même
silencieux car aucun de chante et deux d’entre eux n’ont pas d’instrument de
musique. »
p. 26 :
« Ainsi se trouve visuellement transposée la coïncidence des contraires
opérée dans le point implexe-complexe de l’infini central, mais aussi bien se
trouve définie, au sens visuel du terme, la peinture qui fait voir du mouvement
avec du repos, du sonore et du musical avec le silence et, ajouterons-nous,
dans le volume concave de la coupole, du relief avec du plat… »
IV.
Evangélistes
et docteurs : la voix absente et l’écriture du texte.
Coupole à
huit pans : 4 évangélistes et 4 docteurs de l’Eglise latine : saint
Jean et saint Augustin, saint Luc et saint Jérôme, saint Matthieu et saint
Amboise, saint Marc et saint Grégoire.
p. 27 :
Sur la différenciation du statut des évangélistes et des lecteurs :
« Autrement dit, à travers cette opposition marquée entre les symboles
traditionnels et les signes fonctionnels dont les uns permettent d’identifier
en nommant [évangélistes] et les autres de reconnaître en situant
« socialement » [lecteurs], s’esquisserait l’opposition entre le
mythe et l’histoire, la symbolique de l’origine et les marques du temps, mais
dans laquelle l’histoire récupérerait, dans et par son écriture, la tradition
comme une des « parties » de son texte. »
Analogie
entre le comportement des anges et l’activité des évangélistes et des
lecteurs : les anges joueraient les partitions écrites par les évangélistes
et les lecteurs.
V.
Les
disciples affrontés et la conversion.
Autres
panneaux : les apôtres s’affrontent deux à deux.
VI.
Conclusion
p. 43 : « De
façon plus précise, ce « tableau » [scène de saint Thomas
l’incrédule], à la fois représentation et « méta-représentation »,
par son insertion dans l’ensemble du décor de la coupole et dans l’espace
architectural qu’elle définit, la constitue bien comme cet objet théorique où
l’œuvre se réfléchit elle-même en énonçant les conditions à la fois théoriques
et historiques de son énonciation. Et nous avons vu que, dans toute la coupole,
des anges aux disciples, il n’est question que d’énoncés et d’énonciation, de
dits et de dire et plus encore d’écrits, d’écriture, de lecture d’écriture et
d’écriture de lecture, sauf dans les deux tableaux de conversion de Paul et de
Thomas om la vision devient aveugle et la voix inaudible, où le texte devient
corps supplicié le signe, plaie ouverte et la lecture-écriture, un toucher, une
pénétration, un aveuglement. Il est vrai que, dans les deux cas, il ne s’agit
plus de savoir (la vérité) mais de croire. »
« Mais
là encore, comme dans le paradigme de la hiérarchie valorisante, le dispositif
structural que nous venons de suggérer hésite indécidablement entre d’une part
le renvoi à un épisode de l’Histoire sainte, roc référentiel, à la fois vérité et réalité qui fournirait aux représentations des disciples affrontés
la finalité et le sens de leur fonction réciproque et d’autre part le renvoi à une image illustrant les deux textes sur
lesquels les deux disciples disputent, un argument de plus dans la disputatio et l’eruditio des glosateurs et commentateurs des livres sacrés, mais un
argument qui, à la différence des
autres mis en avant par les doctes, se métamorphoserait de page écrite (ou lue)
en image peinte (ou contemplée) : illustration ou mieux
citation iconique qui, échappée du volume du livre, de la grisaille des signes
écrits, serait devenue autonome, peinture de plein droit. Dès lors, tout en
réfléchissant au niveau de son énoncé les conditions de l’énonciation du
discours-texte en général, ce « tableau » comme représentation,
énonciation, monstration, ferait apparaître l’image de peinture, marquerait son
avènement éclatant puisqu’avec elle, grâce à elle et à sa puissance merveilleuse
de faire revenir les morts, comme le disait déjà Alberti, « croiront ceux
qui n’auront pas vu ». »
Pinturicchio à Spello (Lachapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation, 1501)
Sur la
fonction du décor et de l’ornement, se réfère à Montaigne. (Essais, 28). Interrogation sur le signe
et sur la représentation.
I. De la représentation et de la figure architecturale.
p.55 :
« Toutefois, pour être opératoire, cette réflexion réfléchie de la
représentation devra s’effectuer sur une figure
qui en présente l’opération pour la faire échapper à elle-même et, si peu que
ce soit, en dé-régler l’ « auto-asservissement ». Cette figure sera l’architecture,
l’architecture que l’œuvre peinte réfléchit dans sa représentation comme
son décor et son ornement et cela, afin d’en découvrir l’effet principal qui
est d’exposer – figurativement – la structure même de la représentation, dans
son objet propre et sa fonction rigoureuse, en un mot, son architecture.
II. La
chapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation.
Décorée en
1501 par Bernardino di Belto, dit le Pinturicchio.
p. 56 :
« L’architecture de la chapelle « contient » une décoration dont
elle constitue le cadre « extérieur », mais cette décoration
« contient » à son tour des architectures qui dressent le cadre
« interne » des représentations qui y prennent place et dont elles
construisent le lieu. »
Paolo Uccello au Christro Verde de
Santa-Maria-Novella à Florence.
p. 73 :
« Un des modèles parmi les plus opératoires construits pour explorer le
fonctionnement de la représentation moderne – qu’elle soit linguistique ou
visuelle – est celui qui propose la prise en considération de la double
dimension de son dispositif : dimension « transitive » ou
transparence de l’énoncé, toute représentation représente quelque chose ; dimension « réflexive »
ou opacité énonciative, toute représentation se présente représentant quelque
chose. »
Dans un même
espace : deux moments : l’eau monte et l’eau descend. On voit deux
arches, l’une à gauche et l’autre à droite. La lecture se fait de gauche à
droite. Composition semi-circulaire.
Reprise
d’éléments compositionnels du déluge mais cette fois dans un cadre horizontal.
Sous le déluge.
p. 87 :
« De la gauche à la droite, le spectateur s’est déplacé : selon les
injonctions des représentations d’ « architecture » (la charpente
de l’arche et l’autel du sacrifice ; la treille et ses troncs d’arbres
alignés ; les poteaux de bois et le plafond), selon les postures du
« corps » de Noé également, il a occupé trois lieux successifs, à
gauche, au centre, à droite, et ce faisant, il a lui-même accompli le parcours
qui, dans le registre supérieur de la fresque, était effectué par l’arche. Le
spectateur s’est déplacé pour « lire » le récit que lui conte le
registre inférieur : ce n’est pas le cadrage architectural qui lui en
présente le lieu scénique comme dans la lunette ; ce sont les décors
successifs qui le contraignent à se déplacer. On comprendra alors que
l’architectonique de la représentation apparaisse dans la fresque inférieure
selon sa contrainte « présentative » sur le regard. »
p.89 :
« Paolo Uccello, sur le mur de la cinquième travée du Chriostro Verde,
introduirait le motif vitruvien d’un progrès humain et, pour mieux dire, d’une
histoire « naturelle-culturelle » de l’architecture archaïque d’une
humanité, qui n’est pas tant primitive que saisie à un nouveau départ de sa
destinée après le Déluge qui a la même fonction « historique » que
l’expulsion du Paradis terrestre. »
p. 93 :
conclusion : « Plus précisément, un des lieux de ce travail nous a
semblé être, pour parler rapidement et « faire
image-dans-le-langage », la barre du chiasme par laquelle la
représentation de l’architecture comme actant, acteur, figure, personnage,
décor ou ornement d’un récit mis en image de peinture, se renversait en
architecture de la représentation, c’est-à-dire en structure, dispositif,
appareil, opération construisant ou permettant de construire les relations de
ce qui est représenté (le récit de l’histoire) avec les instances d’énonciation
et de réception, avec l’espace et avec les lieux qu’elles investissent dans la
réalité des édifices par l’imaginaire des représentations sociales,
culturelles, politiques, religieuses puisées dans les riches trésors
symboliques des textes antiques et chrétiens et leurs interprétations.
Deuxième
partie, Les syncopes du récit.
Piero della Francesca à Arezzo (le
cycle de la sainte Croix d’Arezzo) (chapelle Bacci, Invention et preuve de la croix)
I.
La
théorie narrative et Piero, peintre d’histoire
Piero était
un mathématicien, qui a écrit des traités, mais était également un peintre.
p. 101 :
« Mais puisque Piero fut aussi un peintre, ce renvoi pose la question de
la relation entre l’œuvre du savant et celle du peintre : en quoi la
pratique du peintre est-elle théorique ? »
p. 102 :
« De même que la théorie prospective construit, à partir de certains
principes liés par une axiomatique explicite ou implicite, une structure
géométrique de la représentation de l’espace tridimensionnel dans un espace
bidimensionnel, de même la théorie narrative construirait, à partir de certains
principes, une structure d’ordre sémantique, syntaxique et pragmatique d’une
représentation de l’histoire, ou plutôt d’une
histoire, d’une représentation iconique d’un récit. »
La
« théorie prospective » est une notion que l’on peut retrouver dans
l’ouvrage de Piero, De Prospettiva
Pingendi.
Se référer
aux textes narratifs de La Légende Dorée
de Jacques de Voragine (chap. 64 et 130).
Nous sommes
en présence de trois éléments : le texte peint (la fresque) et la théorie
prospective, et le récit (Légende dorée).Or
il manque ce qui serait de l’ordre de la théorie narrative (pendant de la
théorie scientifique).
II.
La
Légende Dorée : la croix comme
opérateur narratologique.
Chap.
64 ( de la Légende dorée) : L’Invention de la Croix
Chap.
130 : L’Exaltation de la Croix
p. 104 :
« Cette première remarque concernant les récits de la Légende en général et les récits de l’Invention et de l’Exaltation
en particulier, fait donc apparaître qu’il n’y a pas un temps linéaire et monodrome dans ces récits,
mais des temporalités complexes en
position de représentation emboîtée et enchâssée. Au schème de la ligne
temporelle (unidirectionnelle), il convient de substituer celui d’un plan
bidimensionnel, voire d’un espace tridimensionnel. »
p. 106 :
« L’arbre de la croix n’est ni long ni court, ni large ni haut parce qu’il
est à la fois long, court, large, haut : il occupe toutes les dimensions
de l’espace sans cependant pouvoir être placé dans un lieu déterminé ; il
est insituable. Découpé – rationabiliter
– selon la proportion architecturale de la galerie, l’arbre-poutre est
cependant improportionnable, mais c’est parce qu’il est apte à toutes les
proportions : il est le générateur universel de la proportion en général.
Il est omnifonctionnel. »
III.
Les
« croisements » des parcours narratifs.
p.108 :
« (…) la croix est donc, au sens fort du terme, le sujet du cycle autant
que son objet. Ce n’est pas seulement l’histoire de ses avatars qui est
« mise en image » - la croix comme ibjet figuré -, ce n’est pas
seulement un des récits de cette histoire qui trouve avec elle son articulation
– la croix comme objet figuratif -, c’est la narration même de ce récit qui
acquiert avec elle à la fois sa dynamique transformationnelle et son appareil
structural – la croix comme schème et opérateur (syntaxique et sémantique)
iconique. »
Les
croisements dont il est ici question sont ceux qu’effectuera le regard d’un
spectateur idéal entre les différentes scènes, produisant certains
allers-retours dans la chapelle.
IV.
Les
opérations du schème de la croix.
Scène de la Visite de la reine de Saba à Salomon.
Rappel des textes : la reine de Saba vient rendre visite à Salomon pour
écouter sa sagesse, et elle veut franchir un lac par un pont dans lequel elle
reconnait le bois sur lequel le Christ sera crucifié. Donc elle ne veut pas le
traverser. Dans la scène de Piero, il y a deux moments séparés par la
poutre-pont qui se trouve en plein centre. La partie gauche amorce un mouvement
de la reine vers la droite, on la voit agenouillée près de la poutre. Dans la
deuxième partie, à droite, on voit des colonnades qui marquent un intérieur, la
reine et sa suite arrivent par la droite : elles n’ont pas traversé le
pont qui relie les deux espaces, mais sont sorties de l’espace pictural pour le
contourner.
p. 115 :
« Le pont du récit est
figurativement une barrière infranchissable – comme il l’a été dans la vision
de la reine. Le « pont » est un obstacle qui interdit leur mouvement
latéral (parallèle au plan de la représentation), orientation selon laquelle
elles sont cependant disposées. »
« En revanche, en pointant
l’extérieur du cadre (et, répétons-le, il ne vise pas le point de vue du
spectateur « réel » mais le site « idéal » d’un regard), il
permet et ordonne le passage, le transit, non pas du récit d’une séquence à la
suivante, mais de la narration. Son
orientation, presque perpendiculaire à celle des figures du récit, est le
marqueur de leur énonciation représentative. »
Chapitre
consacré à la thèse selon laquelle dans les scènes de tout le cycle de Piero,
la composition est marquée par un « schème-opérateur « croix ».
p. 118 :
« En effet, l’objet figuré « croix » ne se borne pas, dans la
représentation de la séquence narrative, à sa figure représentée. Il effectue
une opération qui n’est pas seulement celle, narrative, du miracle d’une
résurrection. Il manifeste le schème opératoire qui n’a cessé de fonctionner
dans le cycle et depuis le début de sa représentation. L’objet figuré est, en
même temps, le schème et l’opérateur d’une mise en place des figures narratives
selon une mise en scène cruciforme dans laquelle l’objet « croix »
représenté comme tel est aussi la représentation d’un dispositif scénique de
positionnement des figures dans l’espace (…). »
Annonciations toscanes
I.
L’Incarnation,
l’Ange, la Femme.
Le
christianisme est constitué à la fois de son corps réel, « mondain »
et de son corps mystique « virtuel ».
p. 125 :
« l’ensemble des récits par lesquels le christianisme s’est instauré (…)
racontent et disent simultanément le don et le retrait, l’oblation et la perte
du corps de Dieu. »
« le
corps ecclésial institué du christianisme (…) est aussi le substitut de la
délégation, la « représentation » de ce corps divin
donné-perdu ».
p.126 :
« Représentation du corps divin et
« virtuel » de ce corps, le corps ecclésial, sa configuration de
croyance, est en quelque sorte le tracé d’un désir, celui de la présence réelle
du corps de Dieu, tracé qui est, en fin de compte, cette « présence
réelle ». »
p. 135 :
« L’exceptionnelle puissance historique de ces deux récits [celui de
Zacharie, Elizabeth et Jean-Baptiste et celui de Marie, Joseph et Jésus] de
commencement tient à la caractéristique des acteurs des histoires qu’ils
racontent d’être précisément des figures du potentiel et du pluriel du sens,
qui inlassablement travailleront les représentations qui visent à les
actualiser et à les « singulariser ». Parmi ces figures, il en est
deux « fondamentales » : celle de l’Ange et celle de la Femme,
l’une et l’autre, multivalentes, complexes, insondablement
« productives » : l’Ange comme la figure de la virtualité du
mystère de la venue d’un Dieu infigurable, ineffable, incirconscriptible,
invisible, inaudible dans la figure, la parole, le lieu, la vision, le son,
autrement dit l’Incarnation ; l’Ange figure de la virtualité du secret de
l’annonce de cette venue ; la Femme comme celle de la virtualité de
l’espace de cette venue et du lieu de cette annonce ; la Femme comme
figure de la virtualité d’un corps qui, entre Elizabeth et Marie, cumule les
contrariétés qui précisément, en font un corps « virtuel » :
celui de la mère et de la vierge, de
l’épouse et de la fille, de
l’innocence de la jeunesse et de la
sagesse du grand âge ; corps « virtuel » comme espace d’un
procès de l’invisible et de l’ineffable vers la vision et la parole, et aussi
comme lieu d’un retrait de l’invisible et de l’ineffable dans la vision et la parole. L’Ange et la Femme comme figures des
deux pôles du religieux chrétien, pôle virtuels de la relation comme question.
La rencontre de ces deux figures dans la fable inaugurale de Luc, de l’annonce
à Zacharie à celle aux bergers, se déroule dans toutes les virtualités
présentes ou implicites, entre voix
et parole, entre visuel et image, entre visualité de la voix et
vocalité du visuel ; l’espace, le lieu, le corps, ses postures et ses
gestes, le son, la voix, la parole, ses énoncés et ses modalités ; logique
et économie du secret ; figuralité et topologie du mystère. »
II.
Logique
du secret et représentation de l’Annonciation.
p. 136-137 :
« Que Dieu prenne corps : transit qui donne à voir l’infigurable, à
entendre l’ineffable dans l’image d’un corps, dans les signes d’un langage. Comment
est-il possible de figurer le mystère de l’Incarnation et de faire entendre le
secret de son annonciation ? D’énoncer son énonciation ? »
p. 138 :
« Enonciation – Annonciation. Le rapprochement des deux termes n’est pas
simple jeu de mots ou de lettres : le récit de l’Annonciation – comme représentation
narrative du secret du mystère (de l’Incarnation rédemptrice) – peut être
considéré comme l’exemplum, voire le
paradigme (dans le domaine du discours religieux mystique) de la théorie de l’énonciation ; il
exhibe narrativement la structure théorique des modes de connaissance de l’énonciation
de langue, tout comme, à l’inverse, la théorie de l’énonciation constitue l’économie
abstraite, générale, de la logique en acte du secret dans l’espace de
communication. »
FilippoLippi, Annonciation, v. 1445, SanLorenzo, Florence. (Représentation étonnante dans laquelle les figures de
Gabriel et de Marie sont décentrées sur la droite. Il y a un trompe-l’œil au
premier plan d’un vase en verre contenant les lys de Gabriel.)
p. 148 :
« La figure de la colonne, nous l’avons dit, est bien souvent, en Toscane,
au Quattrocento, l signe-figure à forte puissance symbolique ( à la fois
théologique et spirituelle) qui baliserait l’entre-deux de l’invisible et
inaudible échange des paroles entre les acteurs du récit. Dans l’œuvre de
Lippi, le pilastre central du premier plan – qui masque, tout en lui
correspondant architecturalement, celui du portique qui conduit à la loggia de
la Vierge –, ce pilastre est passé derrière l’ange. L’envoyé de Dieu a franchi
la frontière qu’il balisait pour pénétrer dans l’entre-deux. Les deux Anges
debout dans la moitié gauche sont en quelque sorte les traces de son
déplacement. »
p. 155 :
« Peinte, semble-t-il, entre 1465 et 1470, elle occuperait, à suivre la
thèse de Spencer, une position de synthèse productrice ; elle serait « l’archétype
pur de l’Annonciation avec une
postérité sans précédent (jusqu’à Véronèse) ». »
« L’Ange
contemple avec adoration la Vierge qui vient d’accepter d’être la mère de Dieu.
Entre-deux narratif et temporel : l’échange invisible des paroles
inaudibles vient d’avoir lieu. »
« Qu’y
a-t-il donc entre l’Ange et Marie ?
A « construire » les lieux de l’Ange et de la Vierge, l’opération
géométrique découvre que, selon le plan au sol scénique et le géométral des
architectures que ce sol supporte, l’Ange
ne peut voir la Vierge, dissimulée par un massif de colonnes. En
revanche, visuellement, irrésistiblement, l’œil sensible du spectateur ne peut s’empêcher de voir que l’Ange voit
la Vierge, que celle-ci est visible à l’Ange qui la regarde. (…) c’est
par cet écart que l’invisible accède à une figurabilité et l’inaudible à une
énonciabilité, seules perceptibles à l’œil et à l’oreille de l’âme :
parfaite et singulière exposition de l’économie du secret par le chiffre à
double sens de la perspective. »
Filippo Lippi à Prato
(dernier chapitre, pas lu…)
Search terms: Basse def- Nicolas Thély
NICOLAS
THÉLY
SEARCH
TERMS: BASSE DEF
Edité
par Nicolas Thély, Diffusion/ Distribution Les belles lettres, Août
2012
avec
les contibutions de Clôde Coulpier, Laëtita Giorgione, Séverine
Gorlier, Elise Grognet, Anne Laforet, David-Olivier Lartigaud,
Karine Lebrun, Anthony Lenoir, Anaëlle Pirat- Taluy, Charlotte
Poisson, Pascale Riou, Gilles Rouffineau, Stéphane Sauzedde.
RESUMÉ
Dans cet ouvrage collectif autour d'un
groupe d'artistes un vocabulaire émerge celui de la basse def. Sous
forme de lexique on peut voir se définir les termes d'un art qui
jongle avec la microédition, l'exposition sur le web, la webcam..
des formes mineures qui s'affirment comme telles. L'amateurisme
devient ici signe d'une autonomie et le bricolage se révèle comme
un système D qui remet en cause l'économie d'une oeuvre, et trouve
un compromis entre la volonté d'art et celle de la réalité
économique. Il se développe un vocabulaire de l'ordre (comme le
nomme Nicolas Thély) des pratiques discrètes. Celles ci sont une
forme de résistance de la part d'artistes vis à vis d'un milieu de
l'art auquel ils ne veulent pas adhérer. La paresse, le désœuvrement
sont revendiqués comme manière de faire et de penser. Le réseau
d'artistes et d'initiatives qui sont développées dans l'ouvrage
montrent comment celles-ci forment un vocabulaire cohérent dans la
pensée d'une alternative qui déploie ses propres critères. Dans la
lignée de Fluxus la réflexion sur le statut de l'artiste devient
radicale dans le sens où celui-ci à contre courant dans l'idée du
don et de l'économie pratique un travail qui peut se révéler comme
ne pas se révéler, à l'instar de l'encre sympathique.
CITATIONS
OPEN ACCESS- Préface de
Stéphane Sauzedde et Nicolas Thély
Approche techno-critique
Le Techno-sceptique doute en permanence
de la technologie qui est déjà la et en train de s'inventer,
le techno-dogmatique qui concourt
activement à la mise en oeuvre et la célébration de la technologie
tandis que le techno critique s'emploie à penser l'autonomie de
cette disposition, à se défaire des déterminismes économiques.
Sept caractéristiques ou notions
fondamentales à prendre en compte: le format, l'indépendance, le
faire simple, la contrefaçon, la négociation, le détachement et le
désoeuvrement.
DE 2.0.1 A ZITA 20120- Lexique
rangé dans l'ordre alphabétique
ABDUCTION
L'internaute progresse par pertes et
profits, maximise certaines occurrences et en délaisse d'autres. Il
en ressort une pensée éclatée et fragmentée, qui procède par
abduction sans racine, ni mémoire.
Expériences difficilement
transmissibles.
« A vouloir trop gérer les
activités artistiques, on tue l'art. »
AFFIRMATIF
La basse définition a été taxée de
manque d'assurance, modestie ou timidité défaillante.
Des solos de air guitar sont vus des
millions de fois...alors à qui la puissance ?
ALMOST
L'ambition de Clôde Coulpier est dans
le presque: Almost.
BRICODAGE
Le bricolage, le systèmee D ou le do
it your self sont des moyens qui s'apparentent à ceux
del'amateurisme..
L'auto production règle le curseur
entre les prétentions artistiques et la réalité économique.
CAPTURE D'ECRAN
La capture d'écran est plus qu'une
archive, sans pour autant engager une véritable recherche
esthétique. Ce statut flottant lui confère dès lors tout autre
chose qui se situe dans cet espace laissé vide par le concept de
captation d'une surface apparemment plane.
Triple niveau de lecture en hommage à
Clément Rosset dont le réel s'échappe toujours de son double.
C'est ainsi que la capture d'écran protège le réel en le laissant
se défiler pendant que son double se fabrique un voile à base de
cmd-maj-3.
LE DESOEUVREMENT
Le désoeuvrement contribue à mettre
en évidence l'incapacité d'un environnement à penser ce qui
diffère de lui.
P 57 DETACHEMENT
Quelles sont les possibilités de
détachement à l'oeuvre sans pour autant être marginalisé et hors
du monde ?
JPEGS
Le flou: hantise et délice esthétique.
Si la précision semble une orientation propre à la pratique
photographique, l'abandon volontaire du registre de l'acuité suppose
une motivation paradoxalement bien définie. Les tirages de la série
JPEGs de Thomas Ruff jouent sur des textures mais s'abstiennent
toutefois de soumettre les visages et les corps humains à l'épreuve
du pixel.
L'ART SANS IDENTITE D'ART
Dans son « catalogue
critique des arts réputés illégitimes » Jean Claude Moineau
écrit qu'il est un art incognito qui doit resté tel. Un art qui
cache son jeu ? « Un art surtout qui cherche non pas tant à
intervenir masqué qu'a intervenir réellement dans la mesure où le
nom d'art fait obstacle à toute intervention réelle. »
LA PARESSE
La paresse est officiellement définie
de manière négative. Ici elle serait à considérer comme une
économie, celle du peu, de l'activité sans rendement ou de
contrainte de productivité.
La paresse est alors une attitude
positive qui invite à prendre son temps quitte à le perdre. Le
choix de faire ou de ne pas faire. La paresse apparaît comme une
méthode de production.
LA RUINE
Qu'est ce que le contemporain- Giorgio Agamben
GIORGIO
AGAMBEN
Qu'est
ce que le contemporain
Traduit
de l'italien par Maxime Rouvere
Rivages
poche/ Petite Bibliothèque 2005/2006
RESUMÉ
Dans
ce court texte Giorgio Agamben pose la question du contemporain et du
notre rapport au temps. Il pose un rapport discontinu du temps et la
question de l'adhésion à son époque. La mode et l'anachronisme
sont des notions qu'il lie en usant du terme d'hétérogène. Ces
juxtapositions des temps pose la question du présent et de
l'histoire. L'inactuel serait le contemporain puisqu'il tire le
bénéfice d'un décalage, d'un recul étant donné une impossibilité
du vivre au présent. C'est dans les points de cassures que l'ont
peut prendre conscience de la construction d'une époque.
CITATIONS
1.
La question est de savoir ce que c'est d'être contemporain de son
époque.
Référence
à Roland Barthes qui cite Nietzsche.
Déphasage:
le vrai contemporain n'adhère pas parfaitement avec lui, par cet
anachronisme il peut percevoir son temps.
P
10 « Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque
n'arrive pas à la voir ».
3.
Le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en
percevoir non les lumières, mais l'obscurité: pas une forme
d'inertie ou de passivité mais une capacité particulière à
neutraliser les lumières de l'époque qui rayonne pour en découvrir
les ténèbres.
4.
p 25 Etre contemporain est avant tout une affaire de courage: parce
que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur
l'obscurité de l'époque mais de percevoir dans cette obscurité une
lumière qui, dirigé vers nous s'éloigne infiniment ou encore être
ponctuels à un rendez-vous qu'on ne peut que manquer et cette
urgence, c'est l'inactualité.
5.
La mode
Introduit
dans le temps une discontinuité particulière qui divise le temps.
Les
mannequins sont les victimes sacrificielles d'un dieu sans visage.
Insaisissable
frontière: en avance sur son temps.
Le
Kairos de la mode est inexprimable. C'est une « Jeu » de
déphasage entre le « ne plus » et « ne pas
encore »
6.
La contemporanéité s'inscrit dans le présent en le signalant comme
archaïque.
Archaïque:
signifie proche de l'origine.
L'écart.
Entre archaïque et le moderne c'est un rendez vous secret. La clé
du moderne est cachée dans l'immémorial et le préhistorique.
Nous
ne pouvons en aucun cas vivre dans le présent.
La
voie d 'accès au présent a nécessairement la forme d'une
archéologie.
P
36 « Le présent n'est autre que la part de non vécu dans tout
vécu, et ce qui empêche l'accès au présent et précisément la
masse de ce que nous n'avons pas réussi à vivre en lui ».
7.
Hétérogénéité des temps
Homogénéité
inerte du temps linéaire.
Le
contemporain a brisé les vertèbres de son temps (Il a percé les
points de cassure).
- le temps du maintenant (St Paul)
- percevoir l'obscurité du présent
- division et interpolation des temps: lire l'histoire d'une manière inédite/ citer en fonction d'une nécessité qui ne doit rien a son arbitraire.
=)
relations aux documents du passé : obscurité du présent.
lundi 17 décembre 2012
Détruire la peinture
Détruire
la peinture
Louis
Marin
Editions
Flamarion 1997 (1ère édition 1977)
A travers la rencontre d’œuvres et de
textes, Louis Marin développe une réflexion sur la peinture
auto-réfléchissante, la méta peinture. Entre la vision solaire de Poussin, et l’œil
avide du Caravage, deux peintures s’affrontent sur le terrain de l’écriture.
Afin de rendre la lecture de cette
fiche plus agréable (qui délaisse certaines parties du livre pour en valoriser
d’autres), je me suis permis d’indiquer des titres, cependant, ces titres ne
correspondent pas aux véritables chapitres du livre.
L’œil
et le soleil
p.11
« Tout
d’abord ce mot du Maître : « M. Poussin ne pouvait rien souffrir du
Caravage et disait qu’il était venu au monde pour détruire la peinture. »
Il ne sera question ici que de cette destruction ; de cette fatalité, dans
le face-à-face impitoyable de deux peintres ; de la haine du Maître pour
son aîné dans l’histoire de la peinture.
« Mais
il ne fau pas s’étonner de l’aversion qu’il avait pour lui. Car si Poussin cherchait la noblesse dans ses
sujets, le Caravage se laissait emporter à la vérité du naturel, tel qu’il
le voyait. Ainsi ils étaient bien opposés l’un à l’autre. »
p.12
« D’un
côté, le soleil dominateur qui fait voir tout ce qui est dessous : ce qui
se voit dessous le soleil, ce que le soleil donne à voir ; de l’autre,
l’œil qui voit ce qui est devant, rencontre ce qui est là :
l’objet. »
p.13
La
peinture solaire (« donnant à
voir au spectateur ce que le soleil fait voir au dessous ») de Poussin
mène au désir, alors que la peinture du Caravage qui montre « ce qui est
devant l’œil, le vif de l’objet par la couleur seulement, satiété du
désir », mène directement au plaisir.
« Lire
l’histoire des morts dans le tableau-tombeau, monument élevé à leur gloire
solaire, le noble sujet, excès ou manque dans mon plaisir :
jouissance. »
Poussin :
« Il n’y a rien qu’un peintre doive tant rechercher que de rendre ses
ouvrages agréables. Mais c’est ce que le Caravage n’a jamais fait… Il n’a pas
de lumière agréable : il choisit des lieux fermés pour avoir des lumières
fortes afin de donner du relief aux corps éclairés. »
Et
cependant : « Il a peint avec une entente de couleurs et de lumière aussi
savante qu’aucun peintre… On peut dire que la nature ne peut être mieux copiée
que dans tout ce qu’il peint. »
Le
Maître s’explique : contempler
n’est pas voir, la théorie n’est pas le regard ou la vision.
« Ce n’est point une opération
naturelle de l’œil. Elle est un jugement, un office de raison partout répandu
dans le tableau. »
p.14
Poussin
reproche au Caravage d’avoir peint « ce qui lui a parut devant les
yeux » sans jugement, et
n’avoir « ni choisi le beau, ni fui ce qu’il a vu de laid ».
« La
théorie n’est pas vision, aspect.
Elle est jugement, prospect. »
Parler
de peinture
p.17
Projet
de L. Marin à travers son livre : « Parler du tableau, ce n’est pas
le faire mourir au plaisir, à la jouissance qu’il donne, les lignes et les
couleurs en quelque superficie, à moins de substituer au désir qu’il laisse ou
au plaisir qu’il offre cet autre désir et cet autre plaisir : celui de
savoir l’énigme de l’acte par lequel est ainsi ouvert l’espace du désir pour le
refermer sur son accomplissement, celui de déchiffrer le secret, d’épeler les
lettres ou la lettre unique de sa formule et enfin déclarer le discours dont
cette formule recèle l’engendrement : faire
donc du plaisir du tableau ou de sa jouissance, un plaisir ou une jouissance du
langage. »
p.21
« Le
fondement de la mimésis, la théorie dont la fin est la délectation et qui n’est
point vision mais office de raison, c’est le
réseau du prospect qui enclot tout ce qui est représenté et donne la loi à
l’histoire. » Marin parle d’un « jugement partout répandu dans le
tableau ».
p.26
L.M.
pose la question de la possibilité d’un discours sur l’œuvre de peinture, et
s’il est possible d’envisager un « métalangage verbal sur le langage de la
peinture ».
« Les Bergers d’Arcadie de Poussin pose
picturalement – par sa composition, la disposition des figures, son sujet et
l’économie de ses moyens proprement picturaux – la question même du discours sur/ de la peinture. »
« Il
s’interprète lui même, il représente le procès de représentation par la
présentation de quatre mots au centre de la toile, sur la paroi du tombeau
qu’il met au centre de son histoire. »
p.26,
27
Distinction
entre sémantique et sémiotique :
Sémiotique = « consiste à identifier des unités, à en décrire les marques distinctives. Pris
en lui-même, un signe existe quand il est reconnu comme signifiant. »
Sémantique = « Avec la sémantique nous entrons dans le mode spécifique de signifiance
qui est engendré par le discours. Les problèmes qui se posent ici sont fonction
de la langue comme productrice de message dotés de sens et prenant en charge
l’ensemble des référents… L’ordre sémantique s’identifie au monde de l’énonciation et à l’univers du
discours. »
L.M.
découpe dans le champ de la « sémantique
de l’énonciation », un domaine plus spécifique, celui des « systèmes représentatifs » qu’il
caractérise par « trois caractères étroitement liés du
discours » :
-
« auto-représentativité :
le discours de représentation comporte une dimension spécifique par laquelle il
se réfléchit lui-même comme représentation. »
-
« auto-référentialité :
référant au monde, le discours de représentation n’opère cette référence qu’en
se référant à lui-même et à ses procès. »
-
« Les systèmes représentatifs sont des systèmes clos et centrés, leur centration résulte de leur
auto-représentativité ; leur clôture, de leur auto-référentialité. »
p.28,
29
« Je
me représente la chose par l’idée ;
tels sont les trois pôles de la notion de représentation dans son
effectuation. »
« Le
jugement pose que cette forme mentale est, non pas la chose même, mais qu’elle
en tient lieu, en toute légitimité : qu’elle a le droit de la représenter,
qu’elle est fondée comme représentation. »
« « Nous
ne pouvons avoir aucune connaissance de ce qui est hors de nous que par
l’entremise des idées qui sont en nous ». Mais il faut, en retour, que la
représentation accède à la chose même, que l’idée en nous soit la chose hors de
nous et, comme elle ne peut l’être tout à fait, puisqu’elle est cosa mentale, il faut qu’elle reçoive le
statut juridique de la chose, statut qui s’appelle vérité. Si la représentation
est la manifestation du dédoublement de l’être pour un sujet pensant, le
jugement certain sera l’opération de substitution effectué par le sujet pensant
et par laquelle la représentation fait retour à l’être et s’efface devant lui
comme vérité de sa délégation. »
« Le
simple regard que nous portons sur les choses qui se présentent, sans être déjà
un « juger » primitif, dans lequel la terre immédiatement ronde, le
soleil brillant, le ciel bleu, sont alors saisis par le sujet qui se les
approprie, comme tels. »
p.34
« Aussi,
pour avoir sa pleine efficacité idéologique, le jugement doit-il passer par l’instrument du langage, car c’est
le langage qui permet les croisements entre mode et substance, attribut et
sujet, moi pensant et être déterminé, en travaillant aux limites du champ de la
représentation pour y fonder le sujet dans son statut juridique. »
p.37
« Les Bergers d’Arcadie raconte moins une
histoire qu’il ne raconte la représentation
de l’histoire dans sa double relation à l’écriture et à la mort. L’histoire
qu’il raconte, son récit singulier, c’est la représentation de l’histoire,
c’est l’histoire de la représentation. »
p.39
« Le
tableau de Poussin serait l’allégorie pastorale, le simulacre dans lequel le
système représentatif effectuerait sa déconstruction en y représentant ses
procès : au centre un tombeau et au centre de ce centre, une inscription
gravée dans le marbre, un tombeau sur lequel est écrit le nom propre du
sujet : ego. »
p.40
« Poussin ou la déconstruction du tableau
d’histoire par la métareprésentation, la théorie de la dénégation du sujet
de représentation qui le
caractérise.
Le Caravage ou la destruction de la
représentation d’histoire par
l’exhibition de l’œil qui se voit et se stupéfie, Narcisse saisi par son
fétiche. »
Encadrer
l’œuvre
p.41
A
propose de La Manne, Poussin indique
à Chantelou en 1639, qu’il faut lire « l’histoire et le tableau, afin de connaître si chaque chose est
appropriée au sujet. »
Il
s’agit donc de « parcourir le tableau comme une grande page
d’écriture », mais il s’agit aussi d’instaurer une hiérarchie de lecture, « lisez d’abord l’histoire, ensuite le
tableau », et donc « lisez le second par la première ».
« Le
tableau est – c’est à dire doit être légitimement – le texte d’une histoire
dont les « caractères », l’écriture, sont des signes à la fois
formels et expressifs. » Autrement dit, le tableau, tout comme l’écriture, possède ses propres règles
syntaxiques (cf Félibien).
p.45
Dans
la même lettre, Poussin demande à ce que le tableau soit encadré « afin
que, en le considérant en toutes ses parties, les rayons de l’œil soient
retenus et non point épars au dehors ».
Pour
L.M. « le cadre a une fonction essentielle : ne relevant ni de
l’espace du spectateur, ni de celui du tableau, il neutralise le monde ambiant ; grâce à lui, les rayons de l’œil
sont enclos dans l’espace du tableau, focalisés par lui. »
« Le
cadre marque ainsi une rupture dans le
continuum perceptif, grâce à laquelle se constitue, pour le regard
attentif, un nouvel espace dont l’unique fonction est de montrer des formes et
des couleurs : espace de représentation dans lequel l’objet comme figure,
l’espace comme lieu figuratif peuvent être connus et lus. Le cadre marque donc
la possibilité d’accession au regard, de l’objet
comme objet lisible. »
p.47
L.M.
parle d’un « alphabet minimal de la peinture » dans Les Bergers
d’Arcadie, concernant la gestuelle des personnages.
« Indices
d’ostension qui se rapportent à la structure d’énonciation tout en dénonçant la
superfluité des mots qui les accompagnes : « ceci »,
« vois ». Présente présence instantanée de l’échange d’un message d’avant la parole, discours minimal
primitif. »
Invisibilité
et visibilité
p.59
Réflexion
sur la Boîte optique de Brunelleschi : « elle établit l’équivalence
du regard et de l’œil en ce sens qu’elle soumet le regard à l’œil, à sa loi
géométrique et optique. »
p.60
« L’écran
représentatif est une fenêtre à travers laquelle le spectateur – l’homme
contemple la scène représentée sur le tableau comme s’il voyait la scène réelle
du monde. Mais cet écran, parce qu’il est un plan et une surface et,
matériellement, un support, est aussi un dispositif réflexif-reflétant, sur
lequel est grâce auquel les objets de la réalité sont dessinés et peints.
[…]
C’est l’invisibilité de la
surface-support qui est la condition de possibilité de la visibilité du monde
représenté. La diaphanéité est la définition technique-théorique de l’écran
plastique de la représentation. »
Théorie
et sidération
p.135
Du
point de vue d’une théorie de la peinture qui « autorise la maitrise de la
réalité, son appropriation ou sa propriété », « l’œuvre de peinture
du Caravage est un scandale : le paradoxe d’une représentation qui à la
fois expose sa propre loi et l’annule puisque le tableau devient le simulacre
et cesse d’être re-présentation et du même coup se rend impropre – impur par
excès de propriété : le tableau du
Caravage montre, représente l’excès de la représentation qui la fonde et
l’autorise. »
p.138
L.M.
explique en quoi théorie = académisme (discours académique : méta discours
s’effectuant à partir d’un système de normes, références, principes).
Chez
le Caravage c’est l’effet qui prime, « le tableau provoque un effet de voir. Dès lors le tableau ne
peut être considéré comme l’application d’un système, comme la résultante (ou
le message) d’un code a priori dont le discours sur la peinture serait
l’expression théorique, mais à l’inverse,
le tableau produisant un effet de « voir », se constitue comme force,
il opère une distribution des effets de vision. »
p.140
L.M.
parle d’une « annihilation de
l’action » chez Caravage.
« « La
force de la couleur » a pour effet dans un tableau qui se donne comme
représentation narrative de « stupéfier » l’action, de bloquer le
récit possible des actions humaines, en déclenchant dans le spectateur la
pulsion du voir (la pulsion scopique). »
Opposition
entre l’instant de représentation
chez Le Brun et Poussin, et l’instant de
vision chez le Caravage.
p.142
Chez
Caravage : « effet de représentation
comme stupéfaction »
« Effet
réaliste-plastique de surprise et de sidération »
Notion
de « pulsion couleur ».
p.150,
151
Tête de Méduse, 1598
L.M.
fait le parallèle entre Persée usant de sa ruse pour tromper Méduse avec sa
propre arme : le regard mortel. Se servant d’un bouclier miroir pour lui
renvoyer son reflet, sa représentation même, il « utilise la ruse, la
rétorsion rusée qui consiste à redoubler contre elle sa propre force, à
substituer le regard de Méduse au sien, c’est-à-dire la force du regard de la
Gorgone à la faiblesse de son propre regard, à mettre dans l’œil rond de bronze
de son bouclier, le regard-mortel de la Méduse. »
De
la même façon, Caravage met en place « le procès de représentation en son miroir (réflexif-reflétant) est un dispositif de ruse, le prospect, un
office de raison qui est, à l’envers, le renversement, la réflexion, la
rétorsion de la raison. Il y est bien question d’un piège du regard, par
l’œil.»
p.152
« Le tableau, c’est d’abord Méduse qui se
méduse, violence polémique dans l’instant présent-immédiat de son
retournement […]. »
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