L’œil et l’esprit
Merleau-Ponty
éditions Gallimard, 1964
M-P entame sa réflexion par un commentaire sur la pensée scientifique
tout en indiquant comment et dans quelle direction il souhaiterait qu’elle
évolue. Il aborde ensuite les notions de perception et de vision, de voyant et
de visible. Pour lui voyant et le visible s’appellent l’un l’autre. Le voyant
subsume le visible. L’objet vu se décrit lui-même à l’artiste qui le peint.
L’inspiration part donc de l’objet pour rencontrer le peintre, et pour
véritablement voir et peindre, le peintre doit alors s’incarner en l’objet. M-P
parle d’une prolongation du corps du voyant dans ce qui l’entoure, dans ce
qu’il voit. Il y a donc toujours un retour au corps perceptif et perceptible,
il est la mesure de toute vision, de toute représentation.
Enfin, M-P met en avant la capacité des chefs-d’œuvre à s’exprimer au
delà du peintre, au delà de l’objet peint, et au delà d’eux mêmes. L’œuvre a
cette capacité de se détacher de son contexte et délivrer à chaque époque et
chaque spectateur un discours neuf.
p.10 Aujourd’hui dans la
philosophie des sciences, la pratique constructive est autonome. La pensée se
réduit délibérément à l’ensemble des techniques de prise ou de captation
qu’elle invente.
« Penser, c’est essayer,
opérer, transformer, sous la seule réserve d’un contrôle expérimental où
n’interviennent que des phénomènes hautement « travaillés », et que
nos appareils produisent plutôt qu’ils ne les enregistrent. »
p.11 « La pensée
« opératoire » une sorte d’artificialisme absolu. »
p.12 « Il faut que la pensée
de science – pensée de survol, pensée de l’objet en général – se replace dans
un « il y a » préalable. »
p.13 « Il faut qu’avec mon
corps se réveillent les corps associés. »
« La pensée allègre et
improvisatrice de la science apprendra à s’appesantir sur les choses mêmes et
sur soi-même, redeviendra philosophie. »
p.14 « Le peintre est seul à
avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir
d’appréciation. »
p.15 peintre
= « souverain sans conteste dans sa rumination du monde. »
p.16 « C’est en prêtant son corps
au monde que le peintre change le monde en peinture. »
L’immersion du corps visible de
l’artiste dans le monde = oriente, modifie sa vision et sa représentation du
monde.
p.18 « corps à la fois
voyant et visible »
p.19 « Le monde est fait de
l’étoffe même du corps. »
Le monde extérieur et visible
serait alors le prolongement même du corps.
« La vision est prise ou se
fait du milieu des choses. »
p.21 Le corps humain est le fruit
de croisements entre les éléments qui le composent (yeux, mains)
« Or, dès que cet étrange
système d’échanges est donné, tous les problèmes de la peinture sont là. Ils
illustrent l’énigme du corps et elle les justifie. Puisque les choses et mon
corps sont fait de la même étoffe, il faut que sa vision se fasse de quelque
manière en elles, ou encore que leur visibilité manifeste se double d’une
visibilité secrète : « la nature est à l’intérieur », dit
Cézanne. Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous,
n’y sont que parce qu’elles éveillent un écho dans notre corps, parce qu’il
leur fait accueil. »
p.26 « Pure ou impure,
figurative ou non, la peinture ne célèbre jamais d’autre énigme que celle de la
visibilité. »
p.27 « Voir c’est avoir à
distance. »
Le peintre « donne existence
visible à ce que la vision profane croit invisible. »
« Vision dévorante par delà
les « données visuelles ». »
p.30 « C’est la question de
celui qui ne sait pas à une vision qui sait tout, que nous ne faisons pas, qui
se fait en nous. »
p.36 Critique de l’analyse de
Descartes : image = symbole interprété par l’esprit
p.44 Pour Descartes « la
peinture n’est alors qu’un artifice qui présente à nos yeux une projection
semblable à celle que les choses y inscriraient et y inscrivent dans la
perception commune, nous fait voir en l’absence de l’objet vrai comme on voit
l’objet vrai dans la vie et notamment nous fait voir l’espace là où il n’y en a
pas. »
p.49 question des techniques
perspectives de la Renaissance.
« Elles n’étaient fausses
que si elles prétendaient clore la recherche et l’histoire de la peinture,
fonder une peinture exacte et infaillible. »
p.51 « La perspective de la
Renaissance n’est pas un « truc » infaillible : ce n’est qu’un
cas particulier, une date, un moment dans une information poétique du monde qui
continue après elle. »
p.54 « Le corps est pour
l’âme son espace natal et la matrice de tout autre espace existant. »
p.55 « En vérité il est
absurde de soumettre à l’entendement pur le mélange de l’entendement et du
corps. »
p.62 « Quant à l’histoire
des œuvres, en tout cas, si elles sont grandes, le sens qu’on leur donne après
coup est issus d’elles. C’est l’œuvre elle-même qui a ouvert le champ d’où elle
apparaît dans un autre jour […]. »
p.70 « L’art n’est pas
construction, artifice, rapport industrieux à un espace et à un monde du
dehors. »
p.71 « C’est cette animation
interne, ce rayonnement du visible que le peintre cherche sous les noms de
profondeur, d’espace, de couleur. »
p.73 « il n’y a pas de ligne
visible en soi. »
p.76 « Figurative ou non, la
ligne en tous cas n’est plus imitation des choses ni chose. C’est un certain
déséquilibre ménagé dans l’indifférence du papier blanc, c’est un certain
forage pratiqué dans l’en soi, un certain vide constituant. »
p.78 Donner l’illusion du
mouvement « C’est une image où les bras, les jambes, le tronc, la
tête sont pris chacun à un autre instant, qui donc figure le corps dans une
attitude qu’il n’a eue à aucun moment, et impose entre ces parties des raccords
fictifs […]. »
« Le tableau fait voir le
mouvement par sa discordance interne. »
p.81 « La vision n’est pas
un certain mode de la pensée ou présence à soi : c’est le moyen qui m’est
donné d’être absent de moi-même, d’assister du dedans à la fission de l’être,
au terme de laquelle seulement je me ferme sur moi. »
p.92 « Si nulle peinture
n’achève la peinture, si même nulle œuvre ne s’achève absolument, chaque
création change, altère, éclaire, approfondit, confirme, exalte, recrée ou crée
d’avance toutes les autres. Si les créations ne sont pas un acquis ce n’est pas
seulement que, comme toutes choses, elles passent, c’est aussi qu’elles sont
presque toute leur vie devant elles. »
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