Bienvenu sur ce blog réalisé par les étudiants de l’Université Rennes 2 qui préparent le concours de l’agrégation arts plastiques, et qui a pour but de mutualiser et partager des savoirs relatifs à ce concours.

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dimanche 21 octobre 2012

L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique


L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Walter Benjamin

éditions Allia, 2003

L’auteur dresse ici un portrait critique de la société capitaliste de production et de consommation à grande échelle. Cette critique s’applique du point de vu de l’art, et plus particulièrement à travers l’exemple du cinéma – art qui s’adresse aux masses. C’est dans cette culture de masse, dans cette expansion démesurée de la technique à tous les niveaux de la société, que la reproductibilité entre en jeu, faussant notre rapport à l’œuvre originelle, modifiant nos repères et notre perception, privilégiant finalement la quantité à la qualité.
Enfin, il faut souligner que cette critique artistique s’accompagne d’une réflexion politique, puisque l’ouvrage débute par une évocation de Marx et de sa critique du capitalisme, et s’achève sur une condamnation ferme du fascisme.

p.9, 10
la reproduction d’œuvre n’est pas une chose nouvelle, on la pratique depuis longtemps mais selon des techniques artisanales
p.10, 11 « Avec la lithographie, les techniques de reproduction atteignent un stade fondamentalement nouveau. Le procédé beaucoup plus direct, qui distingue l’exécution du dessin sur une pierre de son incision dans un bloc de bois ou sur une planche de cuivre, permit pour la première fois à l’art graphique de mettre ses produits sur le marché, non seulement en masse (comme il le faisait déjà), mais sous des formes chaque jour nouvelles. »
« le dessin put accompagner désormais la vie quotidienne de ses illustrations. »

p.11
Avec l’apparition de la photographie, « pour la première fois dans le processus de la reproduction des images, la main se trouva déchargée des tâches artistiques les plus importantes, lesquelles désormais furent réservées à l’œil rivé sur l’objectif. Et comme l’œil saisit plus vite que la main ne dessine, la reproduction des images put se faire désormais à un rythme si accéléré qu’elle parvint à suivre la cadence de la parole. »

p.12
1900 haut niveau de reproduction technique = s’applique à toutes les œuvres du présent et du passé : en modifie les modes d’action. Et ces techniques de reproduction intègrent elles-mêmes les procédés artistiques.

p.13
« A la plus parfaite reproduction il manquera toujours une chose : le hic et nunc de l’œuvre d’art – l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve » (hic et nunc = authenticité)
C’est l’existence unique qui subit « le travail de l’histoire », qui porte les marques du temps, le vécu de l’œuvre.
L’authenticité d’une œuvre n’est pas reproductible.

p.14, 15
Reproduction technique : indépendante de l’original. La photographie permet de « faire ressortir les aspects de l’original qui échappent à l’œil ». Les procédés comme le ralentissement et l’agrandissement permet d’atteindre « des réalités qu’ignorent toute vision naturelle. »
p.15 « La reproduction technique peut transporter la reproduction dans des situations où l’original lui-même ne saurait jamais se trouver. Sous forme de photographie et de disque, elle permet surtout de rapprocher l’œuvre du récepteur. »
Conditions nouvelles dans lesquelles peuvent être placées les reproductions : phénomène de dépréciation de l’original, « ce qui est ainsi ébranlé, c’est l’autorité de la chose. » p.16

p.17
« On pourrait dire, de façon générale, que la technique de reproduction détache l’objet reproduit du domaine de la tradition. En multipliant les exemplaires, elle substitue à son occurrence unique son existence en série. Et en permettant à la reproduction de s’offrir au récepteur dans la situation où il se trouve, elle actualise l’objet reproduit. »
Le cinéma, média de masse possède un aspect destructeur et cathartique : « la liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel »

p. 19, 20
Notion de l’aura. « On pourrait la définir comme l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. »
« Rendre les choses spatialement et humainement « plus proches » de soi, c’est chez les masses d’aujourd’hui un désir tout aussi passionné que leur tendance à déposséder tout phénomène de son unicité au moyen d’une réception de sa reproduction. »
Idée de possession toujours plus grande de l’objet, du moins de sa reproduction.

p.21
Destruction de l’aura, de l’histoire et des particularité d’une chose = standardisation de l’unique.

p.22, 23
« Le mode d’intégration primitif de l’œuvre d’art à la tradition trouvait son expression dans le culte. On sait que les plus anciennes œuvres d’art n’acquirent au service d’un rituel, magique d’abord, puis religieux. Or, c’est un fait de la plus haute importance que ce mode d’existence de l’œuvre d’art, lié à l’aura, ne se dissocie jamais absolument de sa fonction rituelle. En d’autres termes, la valeur unique de l’œuvre d’art « authentique » se fonde sur ce rituel qui fut sa valeur d’usage originelle et première. »

« Définir l’aura comme « l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il », c’est exprimer la valeur cultuelle de l’œuvre d’art en termes de perception spatio-temporelle. Lointain s’oppose à proche. Ce qui est essentiellement lointain est inapprochable. En effet, le caractère inapprochable est l’une des principales caractéristiques de l’image servant au culte. Celle-ci demeure par sa nature un « lointain, si proche soit-il ». La proximité que l’on peut atteindre par rapport à sa réalité matérielle ne porte aucun préjudice au caractère lointain qu’elle conserve une fois apparue. »
« avec la sécularisation de l’art, l’authenticité devient le substitut de la valeur cultuelle. »

p.24
Avec la photographie, l’art subit une crise et réagit « par la doctrine de « l’art pour l’art », qui n’est autre qu’une théologie de l’art. »
Théologie négative, idée d’un art pur, refus de toute fonction sociale, toute évocation d’un sujet concret (voir poésie de Mallarmé)
« Pour la première fois dans l’histoire universelle, l’œuvre d’art s’émancipe de l’existence parasitaire qui lui était impartie dans le cadre du rituel. De plus en plus l’œuvre d’art reproduite devient reproduction d’une œuvre d’art conçue pour être reproductible. »

p.26
« Dès lors que le critère d’authenticité n’est plus applicable à la production artistique, toute la fonction de l’art se trouve bouleversée. Au lieu de reposer sur le rituel, elle se fonde désormais sur une autre pratique : la politique. »

p.30
La reproduction d’une œuvre la rend plus exposable et plus diffusable = affecte la nature même de l’œuvre qui se retrouve plus proche de la marchandise que de l’œuvre d’art.
(photographie et cinéma)

p.32
Commentaire sur les photographies de rues désertes d’Atget (1900)
« On dit à juste titre qu’il avait photographié ces rues comme on photographie le lieu d’un crime. »
« Les photographies commencent à devenir des pièces à conviction pour le procès de l’histoire. C’est en cela que réside leur secrète signification politique. Elles en appellent déjà à un regard déterminé. Elles ne se prêtent plus à une contemplation détachée. »
Photographie = indice, preuve, trace, témoignage = discours sur le réel, la société, l’histoire = portée politique, discours de l’image.

p.37 à 40
Comparaison entre le comédien de théâtre et l’acteur de cinéma. Alors que le premier transmet son aura au personnage joué, et peut adapter son jeu aux réactions du public, le second voit son jeu réinterprété par le montage, il joue pour la caméra, et son action est retransmise à un public devenu « expert dont le jugement n’est troublé par aucun contact personnel avec l’interprète ».
« Pour la première fois – et c’est là l’œuvre du cinéma – l’homme doit agir, et avec toute sa personne vivante assurément, mais en renonçant à son aura. Car l’aura est liée à son hic et nunc. Il n’en existe aucune reproduction. »

p.42, 43
Le jeu de l’acteur de cinéma est morcelé. « Son rôle, qu’il ne joue pas de façon suivie, est recomposé à partir d’une série de performances discontinues. »

p.44, 45
La possibilité d’enregistrer et de transmettre ne transforme pas seulement le travail de l’acteur, mais aussi celui du politicien qui doit modifier sa parole et sa façon de s’adresser au peuple qui n’est plus face à lui, mais disséminé à travers le pays, devant télévisions et postes radio. « D’où une nouvelle sélection, une sélection devant l’appareil, de laquelle la vedette et le dictateur sortent vainqueurs. »

p.46
« A mesure qu’il restreint le rôle de l’aura, le cinéma construit artificiellement, hors du studio, la « personnalité » de l’acteur. Le culte de la vedette, que favorise le capitalisme des producteurs de films, conserve cette magie de la personnalité qui, depuis longtemps déjà, se réduit au charme faisandé de son caractère mercantile. »

p.47, 48
Tout le monde peut être filmé, dans les actualités ou comme figurant, tout le monde peut publier un texte, une rubrique, un commentaire. « Entre l’auteur et le public, la différence est en voie, par conséquent, de devenir de moins en moins fondamentale. »

p.53, 54
Comparaison la différence qui existe entre le chirurgien et le mage, et celle qu’il y a entre le monteur et le peintre. Le monteur, comme le chirurgien, opère le réel avec minutie, il y pénètre en profondeur, il le morcèle et le découpe. Le peintre lui, comme le mage, à un rapport au réel plus large, plus distant.
« Le peintre observe, en peignant, une distance naturelle entre la réalité donnée et lui-même ; le cameraman pénètre en profondeur dans la trame même du donné. Les images qu’ils obtiennent l’un et l’autre diffèrent à un point extraordinaire. Celle du peintre est globale, celle du cameraman se morcelle en un grand nombre de parties, qui se recomposent selon une loi nouvelle. »

p.55
« La possibilité de reproduire l’œuvre d’art modifie l’attitude de  la mase à l’égard de l’art. Très rétrograde vis-à-vis, par exemple, d’un Picasso, elle adopte une attitude progressiste à l’égard, par exemple, d’un Chaplin. »
Diminution de la signification sociale de l’art : « divorce croissant entre l’esprit critique et la conduite de jouissance » chez le public.
p.56 « On jouit, sans le critiquer, de ce qui est conventionnel ; ce qui est véritablement nouveau, on le critique avec aversion. »

p.56
« Les tableaux n’ont jamais prétendu à être contemplés que par un seul spectateur ou par un petit nombre. Le fait qu’à partir du XIXème siècle un public important les regarde simultanément est un premier symptôme de la crise de la peinture, qui n’a pas été seulement provoqué par l’invention de la photographie, mais d’une manière relativement indépendante de cette découverte, par la prétention de l’œuvre d’art à s’adresser aux masses. »

p.60
« Grâce au cinéma – et ce sera là une de ses fonctions révolutionnaires – on pourra reconnaître dorénavant l’identité entre l’exploitation artistique de la photographie et son exploitation scientifique, le plus souvent divergentes jusqu’ici. »

p.61
Le cinéma permet d’avoir un nouveau regard sur le réel. «  Grâce au gros plan, c’est l’espace qui s’élargit ; grâce au ralenti, c’est le mouvement qui prend de nouvelles dimensions. »
p.62 « Il est bien clair, par conséquent, que la nature qui parle à la caméra n’est pas la même que celle qui parle aux yeux. Elle est autre surtout parce que, à l’espace où domine la conscience de l’homme, elle substitue un espace où règne l’inconscient. »
p.63 « Pour la première fois, elle nous ouvre l’accès à l’inconscient visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l’accès à l’inconscient pulsionnel. »

p.65
« L’histoire de chaque forme artistique comporte des époques critiques, où elle tend à produire des effets qui ne pourront être obtenus sans effort qu’après modification du niveau technique, c’est-à-dire par une nouvelle forme artistique. C’est pourquoi les extravagances et les outrances qui se manifestent surtout aux époques de prétendue décadence naissent en réalité de ce qui constitue au cœur de l’art le centre de forces historiques le plus riche. »

p.67, 68
Le tableau invite à la contemplation, alors que le film projeté, de par ces prises de vues impossibles à fixer, rend toute contemplation impossible.

p.69 à 71
« La masse est une matrice d’où toute attitude habituelle à l’égard des œuvres d’art renaît, aujourd’hui, transformée. La quantité est devenue qualité. »
Distinction entre deux formes d’arts : celle qui permet la distraction, et celle qui permet le recueillement. « Celui qui se recueille devant une œuvre d’art s’y abîme […]. Au contraire, la masse distraite recueille l’œuvre d’art en elle."

p.72, 73
L’auteur prend exemple sur l’architecture pour effectuer un développement concernant l’aptitude que l’on a à s’accoutumer et les implications que cela suppose.
« Les édifices font l’objet d’une double réception : par l’usage et par la perception. En termes plus précis : d’une perception tactile et d’une réception visuelle. […] La réception tactile se fait moins par voie d’attention que par voie d’accoutumance.
[…]
Des tâches qui s’imposent à la perception humaine aux grands tournants de l’histoire il n’est guère possible de s’acquitter par des moyens purement visuels, autrement dit par la contemplation. Pour en venir au bout, peu à peu, il faut recouvrir à la réception tactile, c’est-à-dire à l’accoutumance.
[…]
Au moyen de la distraction qu’il est à même de nous offrir, l’art établit à note insu le degré auquel notre perception est capable de répondre à des tâches nouvelles.
[…]
La réception par la distraction, de plus en plus sensible aujourd’hui dans tous les domaines de l’art, et symptôme elle-même d’importantes mutations de la perception, a trouvé dans le cinéma l’instrument qui se prête le mieux à son exercice. Par son effet de choc, le cinéma favorise un tel mode de réception. S’il fait reculer la valeur cultuelle, ce n’est pas seulement parce qu’il transforme chaque spectateur en expert, mais encore parce que l’attitude de cet expert au cinéma n’exige de lui aucun effort d’attention. Le public des salles obscures est bien un examinateur, mais un examinateur distrait. »

p.74 à 78
Epilogue politique.
p.75 « L’appareil saisit mieux les mouvements de masses que ne peut le faire l’œil humain.
[…] En d’autres termes, les mouvements des masses, y compris la guerre, représentent une forme de comportement humain qui correspond tout particulièrement à la technique des appareils. »
« Tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point est la guerre. La guerre, et la guerre seule, permet de fournir un but aux plus grands mouvements de masse sans toucher cependant au régime de la propriété. »
p.76, 77 L’auteur cite le Manifeste des Futuristes, qui met en avant l’aspect esthétique de la guerre moderne.
p.78
Le « fascisme, qui, de l’aveu même de Marinetti, attend de la guerre la satisfaction artistique d’une perception sensible modifiée par la technique. »
« L’art pour l’art semble trouver là son accomplissement. Au temps d’Homère, l’humanité s’offrait en spectacle aux dieux de l’Olympe ; c’est à elle-même, aujourd’hui, qu’elle s’offre en spectacle. Elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre. Voilà l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme. Le communisme y répond par la politisation de l’art.

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