Bienvenu sur ce blog réalisé par les étudiants de l’Université Rennes 2 qui préparent le concours de l’agrégation arts plastiques, et qui a pour but de mutualiser et partager des savoirs relatifs à ce concours.

Un grand nombre des articles que vous trouverez ici vous présenteront des fiches de lecture concernant les livres indiqués dans les différentes bibliographies relatives aux épreuves écrites.

N’hésitez pas à ajouter vos commentaires, indications et liens utiles.

jeudi 20 décembre 2012

Deux liens pour vos recherches iconographiques.

- WEB GALLERY OF ART:
Il s'agit d'un moteur de recherches iconographiques en peintures et sculptures européennes vraiment très très bien, complet, avec des reproductions de très bonne qualité, souvent il y a des détails, et parfois même des notices. Il recense une majorité d’œuvres allant de la fin du Moyen âge jusqu'au début du XXe siècle (de "1000 à 1900"). Il est en anglais, c'est un site d'initiative privée.
Voici le lien: http://www.wga.hu/index.html

- AGENCE PHOTOGRAPHIQUE DE LA RMN:
Un site cette fois d'initiative publique. C'est également un moteur de recherche, qui se focalise en revanche sur les collections publiques françaises, mais sur toutes les périodes concernées (toutes collections confondues). De même que pour wga.hu, les reproductions sont de très bonne qualité, avec des notices techniques détaillées. Il y a également un onglet "portfolios" qui propose des balades thématiques dans les collections, avec toujours une petite présentation.
Voici le lien: http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/Home.aspx

Opacité de la peinture - Louis Marin



Louis Marin, Opacité de la peinture, Essai sur la représentation au Quattrocento, Usher, 1989.

Cliquez sur les liens pour voir les images.

Résumé (fait par l’EHESS) :
 Procédant à rebours, Louis Marin projette sur les œuvres italiennes du Quattrocento la théorie du signe et de la représentation élaborée à Port-Royal au dix-septième siècle. Il dévoile les ruses par lesquelles l’image parvient à s’imposer comme vraie du point de vue de la perception, mais aussi et surtout du point de vue de la légitimité politique et religieuse qui l’autorise. Comment la peinture d’his­toire parvient-elle à se présenter comme objective et vraie ? Comment la peinture religieuse peut-elle figurer des mystères ? Comment l’auteur, le peintre, parvient-il à trouver une place dans sa peinture ?
Le recueil s’ouvre sur une théorie autonome de la représentation. Louis Marin y analyse trois fresques peintes au tournant du quatorzième siècle. Ces structures prennent tout leurs sens dans l’opération de recomposition qu’elles proposent au spec­tateur et que Marin analyse dans les détails. Conduite à partir d’une méthodologie d’analyse structurelle des textes, la deuxième partie s’attache davantage à l’opération de mise en figure des quelques récits fondateurs de la religion chrétienne. Chacun des six chapitres du livre est introduit par une partie théorique qui situe l’objet de l’analyse dans le débat très intense qui caractérisait la fin des années 1980.

Introduction
            Œuvres étudiées par le prisme de la sémiotique, théorie de la représentation et du signe, du signe comme représentation.
            Il s’ait de la rencontre de l’ange annonciateur de la naissance de Jésus avec la Vierge Marie à l’instant où elle conçoit sous l’ombre du Saint-Esprit. Histoire racontée par Luc.
            Entre l’ange et la Vierge on trouve Luc adossé à son bœuf. Entre les figures des acteurs narratifs sur la scène de la représentation, l’artiste a placé le narrateur du récit. Il se prépare à écrire le récit sur le rouleau déroulé. Le rouleau est encore vierge de signes :
p.11-12 : « Luc n’a rien écrit : comment l’aurait-il pu puisque l’évènement qu’il doit raconter en l’enregistrant dans les formes de l’histoire est en train de se dérouler sur la scène représentative ? »
            L’ange semble même dicter à Luc les paroles qu’il prononce : « Ave Maria gracia plena » : court-circuit entre la scène de l’histoire, celle de l’évènement et la scène du récit. Luc est aussi le saint patron des peintres.
p. 12 : « Luc est aussi dans l’œuvre de Bonfigli la figure de l’ « énonciateur », mais d’un énonciateur double : il est la figure du narrateur du récit écrit/à écrire, celle de son historien ; mais il est aussi la figure de son peintre qui donne à voir l’ « histoire » dont le récit est enregistré dans la Sainte Ecriture. »
            Luc = troisième acteur de l’Annonciation. Ce faisant, il rompt la cohérence proprement narrative du récit représenté.
p.12 : « Il ouvre, à l’égal de Dieu le Père dans le ciel, concepteur transcendant du Fils dans la Vierge, l’abîme de l’énonciation dans l’énoncé narratif que l’image ici représente : double interruption par l’intervention d’une figure du scripteur de l’histoire qui est en même temps une figure du peintre concepteur du tableau ici introduit non par son image, son portrait (ainsi Pinturicchio dans l’Annonciation de Spello), mais par l’effigie du patron des peintres, Luc, qui pourtant ne peint pas, mais écrit ; qui écrit toutefois sans écrire (il n’a encore rien écrit) ; il écrit dans le silence du dire d’un dit « en blanc », silence de la poésie muette qu’est la peinture. »

Première partie, Les architectures de la représentation.
            Luca Signorelli à Lorette (c. 1479-1484) (coupole et parois de la sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, dans le sanctuaire de N.-D. de Lorette, v.1479)
I.              Le « texte » passé comme objet théorique contemporain.
Fresques de Signorelli à Lorette : problème de la relation entre la théorie sémiotique contemporaine et le texte littéraire passé.
p. 16 : « L’hypothèse implicite est donc la suivante : 1) le texte littéraire, objet de langage et langage-objet immergé dans l’histoire et considéré immédiatement comme tel, recèlerait dans l’immanence de ses formes et de ses images, le métalangage qui en permettrait l’interprétation, les principes et les procédures qui en fourniraient la compréhension, la théorie qui en offrirait l’explication ; 2) le métalangage dessinerait – à l’explicitation près – un des profils possibles de la théorie contemporaine. »
p. 17 : «  D’où la question posée sur un texte « iconique » singulier de la fin du Quattrocento – les fresques de Signorelli à Lorette : à quelles conditions historiques et théoriques un texte peut-il se constituer en un objet théorique, qui serait ainsi le produit commun de la force et du déplacement du texte littéraire ou artistique passé et de la théorie sémiologique contemporaine, de leur mise en travail réciproque ? »
« Comment donc le texte passé « devient-il » « objet théorique » ? »
p. 17 : « Toute œuvre littéraire ou artistique n’existe que comme signe et agencement déterminé de signes. […] Mais, en outre, tout énoncé dit quelque chose de son énonciation, il la commente, la décrit, il la montre par le fait même qu’il existe en tant qu’énoncé (vorweisen, to show). […] Le discours-fait-texte qu’est toute œuvre littéraire ou artistique peut donc ainsi être considéré comme un ensemble d’énoncés qui à la fois disent quelque chose  (assertent, ordonnent, interrogent, expriment…) et montrent qu’ils disent quelque chose. […] l’objet théorique se construira dans une œuvre déterminée à partir de l’ensemble des énoncés qui en réfléchiront l’énonciation. »
Dimension de « réflexivité interne ». Réflexion du texte sur lui-même.
« texte iconique »
Chez Marin, la notion de texte recouvre aussi celle du discours artistique par le biais de l’expression « texte artistique » ou « texte iconique » (= image).
II.            La coupole : architecture et décor.
v. 1479. Sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, au sanctuaire de N.-D. de Lorette.
Commanditaire : cardinal Girolamo Basso della Rovere.
p. 22: « Deux schèmes concourent à la constitution de l’œuvre étudiée : l’un, schème organisationnel, qui définit la structure théorique du texte iconique ; l’autre, schème d’inscription de ce texte, qui en propose la paradigmatique de surface. Le premier définit une structure, c’est-à-dire un groupe spécifique de transformation ; l’autre propose les figures qui, dans leur espace propre, en opèrent l’investissement historique et idéologique. »
III.           Les anges et la coïncidence des opposés.
Juste autour de la clé de voûte : anges musiciens, (p.23), « au plus proche du point théophanique ». « Figuration possible de la musique qui anime la sagesse éternelle de Dieu comme celle qui règle l’ordre et les mouvements célestes. »
« double imitation humaine de la musique divine : la plus haute en dignité est celle du vers et du mètre, la plus basse celle des voix et des instruments ; c’est cette double analogie imitative qui est offerte à la contemplation par la première couronne figurative de la coupole avec les huit figures des anges instrumentistes (imitation inférieure), les proportions qui rythment leur disposition et avec la métrique des membrures architectoniques qui en scandent la composition (imitation supérieure). Anges tout de même silencieux car aucun de chante et deux d’entre eux n’ont pas d’instrument de musique. »
p. 26 : « Ainsi se trouve visuellement transposée la coïncidence des contraires opérée dans le point implexe-complexe de l’infini central, mais aussi bien se trouve définie, au sens visuel du terme, la peinture qui fait voir du mouvement avec du repos, du sonore et du musical avec le silence et, ajouterons-nous, dans le volume concave de la coupole, du relief avec du plat… »
IV.          Evangélistes et docteurs : la voix absente et l’écriture du texte.
Coupole à huit pans : 4 évangélistes et 4 docteurs de l’Eglise latine : saint Jean et saint Augustin, saint Luc et saint Jérôme, saint Matthieu et saint Amboise, saint Marc et saint Grégoire.
p. 27 : Sur la différenciation du statut des évangélistes et des lecteurs : « Autrement dit, à travers cette opposition marquée entre les symboles traditionnels et les signes fonctionnels dont les uns permettent d’identifier en nommant [évangélistes] et les autres de reconnaître en situant « socialement » [lecteurs], s’esquisserait l’opposition entre le mythe et l’histoire, la symbolique de l’origine et les marques du temps, mais dans laquelle l’histoire récupérerait, dans et par son écriture, la tradition comme une des « parties » de son texte. »
Analogie entre le comportement des anges et l’activité des évangélistes et des lecteurs : les anges joueraient les partitions écrites par les évangélistes et les lecteurs.
V.            Les disciples affrontés et la conversion.
Autres panneaux : les apôtres s’affrontent deux à deux.
VI.          Conclusion
p. 43 : « De façon plus précise, ce « tableau » [scène de saint Thomas l’incrédule], à la fois représentation et « méta-représentation », par son insertion dans l’ensemble du décor de la coupole et dans l’espace architectural qu’elle définit, la constitue bien comme cet objet théorique où l’œuvre se réfléchit elle-même en énonçant les conditions à la fois théoriques et historiques de son énonciation. Et nous avons vu que, dans toute la coupole, des anges aux disciples, il n’est question que d’énoncés et d’énonciation, de dits et de dire et plus encore d’écrits, d’écriture, de lecture d’écriture et d’écriture de lecture, sauf dans les deux tableaux de conversion de Paul et de Thomas om la vision devient aveugle et la voix inaudible, où le texte devient corps supplicié le signe, plaie ouverte et la lecture-écriture, un toucher, une pénétration, un aveuglement. Il est vrai que, dans les deux cas, il ne s’agit plus de savoir (la vérité) mais de croire. »
«  Mais là encore, comme dans le paradigme de la hiérarchie valorisante, le dispositif structural que nous venons de suggérer hésite indécidablement entre d’une part le renvoi à un épisode de l’Histoire sainte, roc référentiel, à la fois vérité et réalité qui fournirait aux représentations des disciples affrontés la finalité et le sens de leur fonction réciproque et d’autre part le renvoi à une image illustrant les deux textes sur lesquels les deux disciples disputent, un argument de plus dans la disputatio et l’eruditio des glosateurs et commentateurs des livres sacrés, mais un argument qui, à la différence des autres mis en avant par les doctes, se métamorphoserait de page écrite (ou lue) en image peinte (ou contemplée) : illustration ou mieux citation iconique qui, échappée du volume du livre, de la grisaille des signes écrits, serait devenue autonome, peinture de plein droit. Dès lors, tout en réfléchissant au niveau de son énoncé les conditions de l’énonciation du discours-texte en général, ce « tableau » comme représentation, énonciation, monstration, ferait apparaître  l’image de peinture, marquerait son avènement éclatant puisqu’avec elle, grâce à elle et à sa puissance merveilleuse de faire revenir les morts, comme le disait déjà Alberti, « croiront ceux qui n’auront pas vu ». »

            Pinturicchio à Spello (Lachapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation, 1501)
Sur la fonction du décor et de l’ornement, se réfère à Montaigne. (Essais, 28). Interrogation sur le signe et sur la représentation.
I. De la représentation et de la figure architecturale.
p.55 : « Toutefois, pour être opératoire, cette réflexion réfléchie de la représentation devra s’effectuer sur une figure qui en présente l’opération pour la faire échapper à elle-même et, si peu que ce soit, en dé-régler l’ « auto-asservissement ». Cette figure sera l’architecture, l’architecture que l’œuvre peinte réfléchit dans sa représentation comme son décor et son ornement et cela, afin d’en découvrir l’effet principal qui est d’exposer – figurativement – la structure même de la représentation, dans son objet propre et sa fonction rigoureuse, en un mot, son architecture.
II. La chapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation.
Décorée en 1501 par Bernardino di Belto, dit le Pinturicchio.
p. 56 : « L’architecture de la chapelle « contient » une décoration dont elle constitue le cadre « extérieur », mais cette décoration « contient » à son tour des architectures qui dressent le cadre « interne » des représentations qui y prennent place et dont elles construisent le lieu. »

            Paolo Uccello au Christro Verde de Santa-Maria-Novella à Florence.
p. 73 : « Un des modèles parmi les plus opératoires construits pour explorer le fonctionnement de la représentation moderne – qu’elle soit linguistique ou visuelle – est celui qui propose la prise en considération de la double dimension de son dispositif : dimension « transitive » ou transparence de l’énoncé, toute représentation représente quelque chose ; dimension « réflexive » ou opacité énonciative, toute représentation se présente représentant quelque chose. »
Dans un même espace : deux moments : l’eau monte et l’eau descend. On voit deux arches, l’une à gauche et l’autre à droite. La lecture se fait de gauche à droite. Composition semi-circulaire.
Reprise d’éléments compositionnels du déluge mais cette fois dans un cadre horizontal. Sous le déluge.
p. 87 : « De la gauche à la droite, le spectateur s’est déplacé : selon les injonctions des représentations d’ « architecture » (la charpente de l’arche et l’autel du sacrifice ; la treille et ses troncs d’arbres alignés ; les poteaux de bois et le plafond), selon les postures du « corps » de Noé également, il a occupé trois lieux successifs, à gauche, au centre, à droite, et ce faisant, il a lui-même accompli le parcours qui, dans le registre supérieur de la fresque, était effectué par l’arche. Le spectateur s’est déplacé pour « lire » le récit que lui conte le registre inférieur : ce n’est pas le cadrage architectural qui lui en présente le lieu scénique comme dans la lunette ; ce sont les décors successifs qui le contraignent à se déplacer. On comprendra alors que l’architectonique de la représentation apparaisse dans la fresque inférieure selon sa contrainte « présentative » sur le regard. »
p.89 : « Paolo Uccello, sur le mur de la cinquième travée du Chriostro Verde, introduirait le motif vitruvien d’un progrès humain et, pour mieux dire, d’une histoire « naturelle-culturelle » de l’architecture archaïque d’une humanité, qui n’est pas tant primitive que saisie à un nouveau départ de sa destinée après le Déluge qui a la même fonction « historique » que l’expulsion du Paradis terrestre. »
p. 93 : conclusion : « Plus précisément, un des lieux de ce travail nous a semblé être, pour parler rapidement et « faire image-dans-le-langage », la barre du chiasme par laquelle la représentation de l’architecture comme actant, acteur, figure, personnage, décor ou ornement d’un récit mis en image de peinture, se renversait en architecture de la représentation, c’est-à-dire en structure, dispositif, appareil, opération construisant ou permettant de construire les relations de ce qui est représenté (le récit de l’histoire) avec les instances d’énonciation et de réception, avec l’espace et avec les lieux qu’elles investissent dans la réalité des édifices par l’imaginaire des représentations sociales, culturelles, politiques, religieuses puisées dans les riches trésors symboliques des textes antiques et chrétiens et leurs interprétations.

Deuxième partie, Les syncopes du récit.

            Piero della Francesca à Arezzo (le cycle de la sainte Croix d’Arezzo) (chapelle Bacci, Invention et preuve de la croix)
I.              La théorie narrative et Piero, peintre d’histoire
Piero était un mathématicien, qui a écrit des traités, mais était également un peintre.
p. 101 : « Mais puisque Piero fut aussi un peintre, ce renvoi pose la question de la relation entre l’œuvre du savant et celle du peintre : en quoi la pratique du peintre est-elle théorique ? »
p. 102 : « De même que la théorie prospective construit, à partir de certains principes liés par une axiomatique explicite ou implicite, une structure géométrique de la représentation de l’espace tridimensionnel dans un espace bidimensionnel, de même la théorie narrative construirait, à partir de certains principes, une structure d’ordre sémantique, syntaxique et pragmatique d’une représentation de l’histoire, ou plutôt d’une histoire, d’une représentation iconique d’un récit. »
La « théorie prospective » est une notion que l’on peut retrouver dans l’ouvrage de Piero, De Prospettiva Pingendi.
Se référer aux textes narratifs de La Légende Dorée de Jacques de Voragine (chap. 64 et 130).
Nous sommes en présence de trois éléments : le texte peint (la fresque) et la théorie prospective, et le récit (Légende dorée).Or il manque ce qui serait de l’ordre de la théorie narrative (pendant de la théorie scientifique).
II.            La Légende Dorée : la croix comme opérateur narratologique.
Chap. 64 ( de la Légende dorée) : L’Invention de la Croix
Chap. 130 : L’Exaltation de la Croix
p. 104 : « Cette première remarque concernant les récits de la Légende en général et les récits de l’Invention et de l’Exaltation en particulier, fait donc apparaître qu’il n’y a pas un temps linéaire et monodrome dans ces récits, mais des temporalités complexes en position de représentation emboîtée et enchâssée. Au schème de la ligne temporelle (unidirectionnelle), il convient de substituer celui d’un plan bidimensionnel, voire d’un espace tridimensionnel. »
p. 106 : « L’arbre de la croix n’est ni long ni court, ni large ni haut parce qu’il est à la fois long, court, large, haut : il occupe toutes les dimensions de l’espace sans cependant pouvoir être placé dans un lieu déterminé ; il est insituable. Découpé – rationabiliter – selon la proportion architecturale de la galerie, l’arbre-poutre est cependant improportionnable, mais c’est parce qu’il est apte à toutes les proportions : il est le générateur universel de la proportion en général. Il est omnifonctionnel. »
III.           Les « croisements » des parcours narratifs.
p.108 : « (…) la croix est donc, au sens fort du terme, le sujet du cycle autant que son objet. Ce n’est pas seulement l’histoire de ses avatars qui est « mise en image » - la croix comme ibjet figuré -, ce n’est pas seulement un des récits de cette histoire qui trouve avec elle son articulation – la croix comme objet figuratif -, c’est la narration même de ce récit qui acquiert avec elle à la fois sa dynamique transformationnelle et son appareil structural – la croix comme schème et opérateur (syntaxique et sémantique) iconique. »
Les croisements dont il est ici question sont ceux qu’effectuera le regard d’un spectateur idéal entre les différentes scènes, produisant certains allers-retours dans la chapelle.
IV.          Les opérations du schème de la croix.
Scène de la Visite de la reine de Saba à Salomon. Rappel des textes : la reine de Saba vient rendre visite à Salomon pour écouter sa sagesse, et elle veut franchir un lac par un pont dans lequel elle reconnait le bois sur lequel le Christ sera crucifié. Donc elle ne veut pas le traverser. Dans la scène de Piero, il y a deux moments séparés par la poutre-pont qui se trouve en plein centre. La partie gauche amorce un mouvement de la reine vers la droite, on la voit agenouillée près de la poutre. Dans la deuxième partie, à droite, on voit des colonnades qui marquent un intérieur, la reine et sa suite arrivent par la droite : elles n’ont pas traversé le pont qui relie les deux espaces, mais sont sorties de l’espace pictural pour le contourner. 
p. 115 : « Le pont du récit est figurativement une barrière infranchissable – comme il l’a été dans la vision de la reine. Le « pont » est un obstacle qui interdit leur mouvement latéral (parallèle au plan de la représentation), orientation selon laquelle elles sont cependant disposées. »
            « En revanche, en pointant l’extérieur du cadre (et, répétons-le, il ne vise pas le point de vue du spectateur « réel » mais le site « idéal » d’un regard), il permet et ordonne le passage, le transit, non pas du récit d’une séquence à la suivante, mais de la narration. Son orientation, presque perpendiculaire à celle des figures du récit, est le marqueur de leur énonciation représentative. »
Chapitre consacré à la thèse selon laquelle dans les scènes de tout le cycle de Piero, la composition est marquée par un « schème-opérateur « croix ».
p. 118 : « En effet, l’objet figuré « croix » ne se borne pas, dans la représentation de la séquence narrative, à sa figure représentée. Il effectue une opération qui n’est pas seulement celle, narrative, du miracle d’une résurrection. Il manifeste le schème opératoire qui n’a cessé de fonctionner dans le cycle et depuis le début de sa représentation. L’objet figuré est, en même temps, le schème et l’opérateur d’une mise en place des figures narratives selon une mise en scène cruciforme dans laquelle l’objet « croix » représenté comme tel est aussi la représentation d’un dispositif scénique de positionnement des figures dans l’espace (…). »

            Annonciations toscanes
I.              L’Incarnation, l’Ange, la Femme.
Le christianisme est constitué à la fois de son corps réel, « mondain » et de son corps mystique « virtuel ».
p. 125 : « l’ensemble des récits par lesquels le christianisme s’est instauré (…) racontent et disent simultanément le don et le retrait, l’oblation et la perte du corps de Dieu. »
« le corps ecclésial institué du christianisme (…) est aussi le substitut de la délégation, la « représentation » de ce corps divin donné-perdu ».
p.126 : « Représentation du corps divin et « virtuel » de ce corps, le corps ecclésial, sa configuration de croyance, est en quelque sorte le tracé d’un désir, celui de la présence réelle du corps de Dieu, tracé qui est, en fin de compte, cette « présence réelle ». »
p. 135 : « L’exceptionnelle puissance historique de ces deux récits [celui de Zacharie, Elizabeth et Jean-Baptiste et celui de Marie, Joseph et Jésus] de commencement tient à la caractéristique des acteurs des histoires qu’ils racontent d’être précisément des figures du potentiel et du pluriel du sens, qui inlassablement travailleront les représentations qui visent à les actualiser et à les « singulariser ». Parmi ces figures, il en est deux « fondamentales » : celle de l’Ange et celle de la Femme, l’une et l’autre, multivalentes, complexes, insondablement « productives » : l’Ange comme la figure de la virtualité du mystère de la venue d’un Dieu infigurable, ineffable, incirconscriptible, invisible, inaudible dans la figure, la parole, le lieu, la vision, le son, autrement dit l’Incarnation ; l’Ange figure de la virtualité du secret de l’annonce de cette venue ; la Femme comme celle de la virtualité de l’espace de cette venue et du lieu de cette annonce ; la Femme comme figure de la virtualité d’un corps qui, entre Elizabeth et Marie, cumule les contrariétés qui précisément, en font un corps « virtuel » : celui de la mère et de la vierge, de l’épouse et de la fille, de l’innocence de la jeunesse et de la sagesse du grand âge ; corps « virtuel » comme espace d’un procès de l’invisible et de l’ineffable vers la vision et la parole, et aussi comme lieu d’un retrait de l’invisible et de l’ineffable dans la vision et la parole. L’Ange et la Femme comme figures des deux pôles du religieux chrétien, pôle virtuels de la relation comme question. La rencontre de ces deux figures dans la fable inaugurale de Luc, de l’annonce à Zacharie à celle aux bergers, se déroule dans toutes les virtualités présentes ou implicites, entre voix et parole, entre  visuel et image, entre visualité de la voix et vocalité du visuel ; l’espace, le lieu, le corps, ses postures et ses gestes, le son, la voix, la parole, ses énoncés et ses modalités ; logique et économie du secret ; figuralité et topologie du mystère. »
II.            Logique du secret et représentation de l’Annonciation.
p. 136-137 : « Que Dieu prenne corps : transit qui donne à voir l’infigurable, à entendre l’ineffable dans l’image d’un corps, dans les signes d’un langage. Comment est-il possible de figurer le mystère de l’Incarnation et de faire entendre le secret de son annonciation ? D’énoncer son énonciation ? »
p. 138 : « Enonciation – Annonciation. Le rapprochement des deux termes n’est pas simple jeu de mots ou de lettres : le récit de l’Annonciation – comme représentation narrative du secret du mystère (de l’Incarnation rédemptrice) – peut être considéré comme l’exemplum, voire le paradigme (dans le domaine du discours religieux mystique) de la théorie de l’énonciation ; il exhibe narrativement la structure théorique des modes de connaissance de l’énonciation de langue, tout comme, à l’inverse, la théorie de l’énonciation constitue l’économie abstraite, générale, de la logique en acte du secret dans l’espace de communication. »
FilippoLippi, Annonciation, v. 1445, SanLorenzo, Florence. (Représentation étonnante dans laquelle les figures de Gabriel et de Marie sont décentrées sur la droite. Il y a un trompe-l’œil au premier plan d’un vase en verre contenant les lys de Gabriel.)
p. 148 : « La figure de la colonne, nous l’avons dit, est bien souvent, en Toscane, au Quattrocento, l signe-figure à forte puissance symbolique ( à la fois théologique et spirituelle) qui baliserait l’entre-deux de l’invisible et inaudible échange des paroles entre les acteurs du récit. Dans l’œuvre de Lippi, le pilastre central du premier plan – qui masque, tout en lui correspondant architecturalement, celui du portique qui conduit à la loggia de la Vierge –, ce pilastre est passé derrière l’ange. L’envoyé de Dieu a franchi la frontière qu’il balisait pour pénétrer dans l’entre-deux. Les deux Anges debout dans la moitié gauche sont en quelque sorte les traces de son déplacement. »
p. 155 : « Peinte, semble-t-il, entre 1465 et 1470, elle occuperait, à suivre la thèse de Spencer, une position de synthèse productrice ; elle serait « l’archétype pur de l’Annonciation avec une postérité sans précédent (jusqu’à Véronèse) ». »
«  L’Ange contemple avec adoration la Vierge qui vient d’accepter d’être la mère de Dieu. Entre-deux narratif et temporel : l’échange invisible des paroles inaudibles vient d’avoir lieu. »
« Qu’y a-t-il donc entre l’Ange et Marie ? A « construire » les lieux de l’Ange et de la Vierge, l’opération géométrique découvre que, selon le plan au sol scénique et le géométral des architectures que ce sol supporte, l’Ange ne peut voir la Vierge, dissimulée par un massif de colonnes. En revanche, visuellement, irrésistiblement, l’œil sensible du spectateur ne peut s’empêcher de voir que l’Ange voit la Vierge, que celle-ci est visible à l’Ange qui la regarde. (…) c’est par cet écart que l’invisible accède à une figurabilité et l’inaudible à une énonciabilité, seules perceptibles à l’œil et à l’oreille de l’âme : parfaite et singulière exposition de l’économie du secret par le chiffre à double sens de la perspective. »

            Filippo Lippi à Prato
(dernier chapitre, pas lu…)

Search terms: Basse def- Nicolas Thély


NICOLAS THÉLY
SEARCH TERMS: BASSE DEF
Edité par Nicolas Thély, Diffusion/ Distribution Les belles lettres, Août 2012
avec les contibutions de Clôde Coulpier, Laëtita Giorgione, Séverine Gorlier, Elise Grognet, Anne Laforet, David-Olivier Lartigaud, Karine Lebrun, Anthony Lenoir, Anaëlle Pirat- Taluy, Charlotte Poisson, Pascale Riou, Gilles Rouffineau, Stéphane Sauzedde.


RESUMÉ

Dans cet ouvrage collectif autour d'un groupe d'artistes un vocabulaire émerge celui de la basse def. Sous forme de lexique on peut voir se définir les termes d'un art qui jongle avec la microédition, l'exposition sur le web, la webcam.. des formes mineures qui s'affirment comme telles. L'amateurisme devient ici signe d'une autonomie et le bricolage se révèle comme un système D qui remet en cause l'économie d'une oeuvre, et trouve un compromis entre la volonté d'art et celle de la réalité économique. Il se développe un vocabulaire de l'ordre (comme le nomme Nicolas Thély) des pratiques discrètes. Celles ci sont une forme de résistance de la part d'artistes vis à vis d'un milieu de l'art auquel ils ne veulent pas adhérer. La paresse, le désœuvrement sont revendiqués comme manière de faire et de penser. Le réseau d'artistes et d'initiatives qui sont développées dans l'ouvrage montrent comment celles-ci forment un vocabulaire cohérent dans la pensée d'une alternative qui déploie ses propres critères. Dans la lignée de Fluxus la réflexion sur le statut de l'artiste devient radicale dans le sens où celui-ci à contre courant dans l'idée du don et de l'économie pratique un travail qui peut se révéler comme ne pas se révéler, à l'instar de l'encre sympathique.

CITATIONS

OPEN ACCESS- Préface de Stéphane Sauzedde et Nicolas Thély
Approche techno-critique
Le Techno-sceptique doute en permanence de la technologie qui est déjà la et en train de s'inventer,
le techno-dogmatique qui concourt activement à la mise en oeuvre et la célébration de la technologie tandis que le techno critique s'emploie à penser l'autonomie de cette disposition, à se défaire des déterminismes économiques.

Sept caractéristiques ou notions fondamentales à prendre en compte: le format, l'indépendance, le faire simple, la contrefaçon, la négociation, le détachement et le désoeuvrement.

DE 2.0.1 A ZITA 20120- Lexique rangé dans l'ordre alphabétique

ABDUCTION
L'internaute progresse par pertes et profits, maximise certaines occurrences et en délaisse d'autres. Il en ressort une pensée éclatée et fragmentée, qui procède par abduction sans racine, ni mémoire.
Expériences difficilement transmissibles.

« A vouloir trop gérer les activités artistiques, on tue l'art. »

AFFIRMATIF
La basse définition a été taxée de manque d'assurance, modestie ou timidité défaillante.
Des solos de air guitar sont vus des millions de fois...alors à qui la puissance ?

ALMOST
L'ambition de Clôde Coulpier est dans le presque: Almost.

BRICODAGE
Le bricolage, le systèmee D ou le do it your self sont des moyens qui s'apparentent à ceux del'amateurisme..
L'auto production règle le curseur entre les prétentions artistiques et la réalité économique.

CAPTURE D'ECRAN
La capture d'écran est plus qu'une archive, sans pour autant engager une véritable recherche esthétique. Ce statut flottant lui confère dès lors tout autre chose qui se situe dans cet espace laissé vide par le concept de captation d'une surface apparemment plane.
Triple niveau de lecture en hommage à Clément Rosset dont le réel s'échappe toujours de son double. C'est ainsi que la capture d'écran protège le réel en le laissant se défiler pendant que son double se fabrique un voile à base de cmd-maj-3.

LE DESOEUVREMENT
Le désoeuvrement contribue à mettre en évidence l'incapacité d'un environnement à penser ce qui diffère de lui.

P 57 DETACHEMENT
Quelles sont les possibilités de détachement à l'oeuvre sans pour autant être marginalisé et hors du monde ?

JPEGS
Le flou: hantise et délice esthétique. Si la précision semble une orientation propre à la pratique photographique, l'abandon volontaire du registre de l'acuité suppose une motivation paradoxalement bien définie. Les tirages de la série JPEGs de Thomas Ruff jouent sur des textures mais s'abstiennent toutefois de soumettre les visages et les corps humains à l'épreuve du pixel.

L'ART SANS IDENTITE D'ART
Dans son « catalogue critique des arts réputés illégitimes » Jean Claude Moineau écrit qu'il est un art incognito qui doit resté tel. Un art qui cache son jeu ? « Un art surtout qui cherche non pas tant à intervenir masqué qu'a intervenir réellement dans la mesure où le nom d'art fait obstacle à toute intervention réelle. »

LA PARESSE
La paresse est officiellement définie de manière négative. Ici elle serait à considérer comme une économie, celle du peu, de l'activité sans rendement ou de contrainte de productivité.
La paresse est alors une attitude positive qui invite à prendre son temps quitte à le perdre. Le choix de faire ou de ne pas faire. La paresse apparaît comme une méthode de production.

LA RUINE


Qu'est ce que le contemporain- Giorgio Agamben


GIORGIO AGAMBEN
Qu'est ce que le contemporain
Traduit de l'italien par Maxime Rouvere
Rivages poche/ Petite Bibliothèque 2005/2006


RESUMÉ

Dans ce court texte Giorgio Agamben pose la question du contemporain et du notre rapport au temps. Il pose un rapport discontinu du temps et la question de l'adhésion à son époque. La mode et l'anachronisme sont des notions qu'il lie en usant du terme d'hétérogène. Ces juxtapositions des temps pose la question du présent et de l'histoire. L'inactuel serait le contemporain puisqu'il tire le bénéfice d'un décalage, d'un recul étant donné une impossibilité du vivre au présent. C'est dans les points de cassures que l'ont peut prendre conscience de la construction d'une époque.

CITATIONS
1. La question est de savoir ce que c'est d'être contemporain de son époque.
Référence à Roland Barthes qui cite Nietzsche.
Déphasage: le vrai contemporain n'adhère pas parfaitement avec lui, par cet anachronisme il peut percevoir son temps.
P 10 « Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque n'arrive pas à la voir ».

3. Le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l'obscurité: pas une forme d'inertie ou de passivité mais une capacité particulière à neutraliser les lumières de l'époque qui rayonne pour en découvrir les ténèbres.

4. p 25 Etre contemporain est avant tout une affaire de courage: parce que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur l'obscurité de l'époque mais de percevoir dans cette obscurité une lumière qui, dirigé vers nous s'éloigne infiniment ou encore être ponctuels à un rendez-vous qu'on ne peut que manquer et cette urgence, c'est l'inactualité.

5. La mode
Introduit dans le temps une discontinuité particulière qui divise le temps.
Les mannequins sont les victimes sacrificielles d'un dieu sans visage.
Insaisissable frontière: en avance sur son temps.
Le Kairos de la mode est inexprimable. C'est une « Jeu » de déphasage entre le « ne plus » et « ne pas encore »

6. La contemporanéité s'inscrit dans le présent en le signalant comme archaïque.
Archaïque: signifie proche de l'origine.
L'écart. Entre archaïque et le moderne c'est un rendez vous secret. La clé du moderne est cachée dans l'immémorial et le préhistorique.
Nous ne pouvons en aucun cas vivre dans le présent.
La voie d 'accès au présent a nécessairement la forme d'une archéologie.
P 36 « Le présent n'est autre que la part de non vécu dans tout vécu, et ce qui empêche l'accès au présent et précisément la masse de ce que nous n'avons pas réussi à vivre en lui ».

7. Hétérogénéité des temps
Homogénéité inerte du temps linéaire.
Le contemporain a brisé les vertèbres de son temps (Il a percé les points de cassure).
  • le temps du maintenant (St Paul)
  • percevoir l'obscurité du présent
  • division et interpolation des temps: lire l'histoire d'une manière inédite/ citer en fonction d'une nécessité qui ne doit rien a son arbitraire.
=) relations aux documents du passé : obscurité du présent.

lundi 17 décembre 2012

Détruire la peinture


Détruire la peinture
Louis Marin

Editions Flamarion 1997 (1ère édition 1977)

A travers la rencontre d’œuvres et de textes, Louis Marin développe une réflexion sur la peinture auto-réfléchissante, la méta peinture. Entre la vision solaire de Poussin, et l’œil avide du Caravage, deux peintures s’affrontent sur le terrain de l’écriture.
Afin de rendre la lecture de cette fiche plus agréable (qui délaisse certaines parties du livre pour en valoriser d’autres), je me suis permis d’indiquer des titres, cependant, ces titres ne correspondent pas aux véritables chapitres du livre.   

L’œil et le soleil

p.11
« Tout d’abord ce mot du Maître : « M. Poussin ne pouvait rien souffrir du Caravage et disait qu’il était venu au monde pour détruire la peinture. » Il ne sera question ici que de cette destruction ; de cette fatalité, dans le face-à-face impitoyable de deux peintres ; de la haine du Maître pour son aîné dans l’histoire de la peinture. 
« Mais il ne fau pas s’étonner de l’aversion qu’il avait pour lui. Car si Poussin cherchait la noblesse dans ses sujets, le Caravage se laissait emporter à la vérité du naturel, tel qu’il le voyait. Ainsi ils étaient bien opposés l’un à l’autre. »

p.12
« D’un côté, le soleil dominateur qui fait voir tout ce qui est dessous : ce qui se voit dessous le soleil, ce que le soleil donne à voir ; de l’autre, l’œil qui voit ce qui est devant, rencontre ce qui est là : l’objet. »

p.13
La peinture solaire  (« donnant à voir au spectateur ce que le soleil fait voir au dessous ») de Poussin mène au désir, alors que la peinture du Caravage qui montre « ce qui est devant l’œil, le vif de l’objet par la couleur seulement, satiété du désir », mène directement au plaisir.
« Lire l’histoire des morts dans le tableau-tombeau, monument élevé à leur gloire solaire, le noble sujet, excès ou manque dans mon plaisir : jouissance. »

Poussin : « Il n’y a rien qu’un peintre doive tant rechercher que de rendre ses ouvrages agréables. Mais c’est ce que le Caravage n’a jamais fait… Il n’a pas de lumière agréable : il choisit des lieux fermés pour avoir des lumières fortes afin de donner du relief aux corps éclairés. »
Et cependant : « Il a peint avec une entente de couleurs et de lumière aussi savante qu’aucun peintre… On peut dire que la nature ne peut être mieux copiée que dans tout ce qu’il peint. »
Le Maître s’explique : contempler n’est pas voir, la théorie n’est pas le regard ou la vision.
« Ce n’est point une opération naturelle de l’œil. Elle est un jugement, un office de raison partout répandu dans le tableau. » 

p.14
Poussin reproche au Caravage d’avoir peint « ce qui lui a parut devant les yeux » sans jugement, et  n’avoir « ni choisi le beau, ni fui ce qu’il a vu de laid ».

« La théorie n’est pas vision, aspect. Elle est jugement, prospect. » 

Parler de peinture

p.17
Projet de L. Marin à travers son livre : « Parler du tableau, ce n’est pas le faire mourir au plaisir, à la jouissance qu’il donne, les lignes et les couleurs en quelque superficie, à moins de substituer au désir qu’il laisse ou au plaisir qu’il offre cet autre désir et cet autre plaisir : celui de savoir l’énigme de l’acte par lequel est ainsi ouvert l’espace du désir pour le refermer sur son accomplissement, celui de déchiffrer le secret, d’épeler les lettres ou la lettre unique de sa formule et enfin déclarer le discours dont cette formule recèle l’engendrement : faire donc du plaisir du tableau ou de sa jouissance, un plaisir ou une jouissance du langage. »

p.21
« Le fondement de la mimésis, la théorie dont la fin est la délectation et qui n’est point vision mais office de raison, c’est le réseau du prospect qui enclot tout ce qui est représenté et donne la loi à l’histoire. » Marin parle d’un « jugement partout répandu dans le tableau ».

p.26
L.M. pose la question de la possibilité d’un discours sur l’œuvre de peinture, et s’il est possible d’envisager un « métalangage verbal sur le langage de la peinture ».

« Les Bergers d’Arcadie de Poussin pose picturalement – par sa composition, la disposition des figures, son sujet et l’économie de ses moyens proprement picturaux – la question même du discours sur/ de la peinture. »
« Il s’interprète lui même, il représente le procès de représentation par la présentation de quatre mots au centre de la toile, sur la paroi du tombeau qu’il met au centre de son histoire. »

p.26, 27
Distinction entre sémantique et sémiotique :
Sémiotique = « consiste à identifier des unités, à en décrire les marques distinctives. Pris en lui-même, un signe existe quand il est reconnu comme signifiant. »
Sémantique = « Avec la sémantique nous entrons  dans le mode spécifique de signifiance qui est engendré par le discours. Les problèmes qui se posent ici sont fonction de la langue comme productrice de message dotés de sens et prenant en charge l’ensemble des référents… L’ordre sémantique s’identifie au monde de l’énonciation et à l’univers du discours. »

L.M. découpe dans le champ de la « sémantique de l’énonciation », un domaine plus spécifique, celui des « systèmes représentatifs » qu’il caractérise par « trois caractères étroitement liés du discours » :
- « auto-représentativité : le discours de représentation comporte une dimension spécifique par laquelle il se réfléchit lui-même comme représentation. »
- « auto-référentialité : référant au monde, le discours de représentation n’opère cette référence qu’en se référant à lui-même et à ses procès. »
- « Les systèmes représentatifs sont des systèmes clos et centrés, leur centration résulte de leur auto-représentativité ; leur clôture, de leur auto-référentialité. »

p.28, 29

« Je me représente la chose par l’idée ; tels sont les trois pôles de la notion de représentation dans son effectuation. »
« Le jugement pose que cette forme mentale est, non pas la chose même, mais qu’elle en tient lieu, en toute légitimité : qu’elle a le droit de la représenter, qu’elle est fondée comme représentation. »

« « Nous ne pouvons avoir aucune connaissance de ce qui est hors de nous que par l’entremise des idées qui sont en nous ». Mais il faut, en retour, que la représentation accède à la chose même, que l’idée en nous soit la chose hors de nous et, comme elle ne peut l’être tout à fait, puisqu’elle est cosa mentale, il faut qu’elle reçoive le statut juridique de la chose, statut qui s’appelle vérité. Si la représentation est la manifestation du dédoublement de l’être pour un sujet pensant, le jugement certain sera l’opération de substitution effectué par le sujet pensant et par laquelle la représentation fait retour à l’être et s’efface devant lui comme vérité de sa délégation. »

« Le simple regard que nous portons sur les choses qui se présentent, sans être déjà un « juger » primitif, dans lequel la terre immédiatement ronde, le soleil brillant, le ciel bleu, sont alors saisis par le sujet qui se les approprie, comme tels. »

p.34
« Aussi, pour avoir sa pleine efficacité idéologique, le jugement doit-il passer par l’instrument du langage, car c’est le langage qui permet les croisements entre mode et substance, attribut et sujet, moi pensant et être déterminé, en travaillant aux limites du champ de la représentation pour y fonder le sujet dans son statut juridique. »

p.37
« Les Bergers d’Arcadie raconte moins une histoire qu’il ne raconte la représentation de l’histoire dans sa double relation à l’écriture et à la mort. L’histoire qu’il raconte, son récit singulier, c’est la représentation de l’histoire, c’est l’histoire de la représentation. »

p.39
« Le tableau de Poussin serait l’allégorie pastorale, le simulacre dans lequel le système représentatif effectuerait sa déconstruction en y représentant ses procès : au centre un tombeau et au centre de ce centre, une inscription gravée dans le marbre, un tombeau sur lequel est écrit le nom propre du sujet : ego. »

p.40
« Poussin ou la déconstruction du tableau d’histoire par la métareprésentation, la théorie de la dénégation du sujet de  représentation qui le caractérise.
Le Caravage ou la destruction de la représentation d’histoire par l’exhibition de l’œil qui se voit et se stupéfie, Narcisse saisi par son fétiche. »

Encadrer l’œuvre

p.41
A propose de La Manne, Poussin indique à Chantelou en 1639, qu’il faut lire « l’histoire et le tableau, afin de connaître si chaque chose est appropriée au sujet. »
Il s’agit donc de « parcourir le tableau comme une grande page d’écriture », mais il s’agit aussi d’instaurer une hiérarchie de lecture, « lisez d’abord l’histoire, ensuite le tableau », et donc « lisez le second par la première ».
« Le tableau est – c’est à dire doit être légitimement – le texte d’une histoire dont les « caractères », l’écriture, sont des signes à la fois formels et expressifs. » Autrement dit, le tableau, tout comme l’écriture, possède ses propres règles syntaxiques (cf Félibien).

p.45
Dans la même lettre, Poussin demande à ce que le tableau soit encadré « afin que, en le considérant en toutes ses parties, les rayons de l’œil soient retenus et non point épars au dehors ».
Pour L.M. « le cadre a une fonction essentielle : ne relevant ni de l’espace du spectateur, ni de celui du tableau, il neutralise le monde ambiant ; grâce à lui, les rayons de l’œil sont enclos dans l’espace du tableau, focalisés par lui. »
« Le cadre marque ainsi une rupture dans le continuum perceptif, grâce à laquelle se constitue, pour le regard attentif, un nouvel espace dont l’unique fonction est de montrer des formes et des couleurs : espace de représentation dans lequel l’objet comme figure, l’espace comme lieu figuratif peuvent être connus et lus. Le cadre marque donc la possibilité d’accession au regard, de l’objet comme objet lisible. »

p.47
L.M. parle d’un « alphabet minimal de la peinture » dans Les Bergers d’Arcadie, concernant la gestuelle des personnages.
« Indices d’ostension qui se rapportent à la structure d’énonciation tout en dénonçant la superfluité des mots qui les accompagnes : « ceci », « vois ». Présente présence instantanée de l’échange d’un message d’avant la parole, discours minimal primitif. »

Invisibilité et visibilité

p.59
Réflexion sur la Boîte optique de Brunelleschi : « elle établit l’équivalence du regard et de l’œil en ce sens qu’elle soumet le regard à l’œil, à sa loi géométrique et optique. »
p.60
« L’écran représentatif est une fenêtre à travers laquelle le spectateur – l’homme contemple la scène représentée sur le tableau comme s’il voyait la scène réelle du monde. Mais cet écran, parce qu’il est un plan et une surface et, matériellement, un support, est aussi un dispositif réflexif-reflétant, sur lequel est grâce auquel les objets de la réalité sont dessinés et peints.
[…] C’est l’invisibilité de la surface-support qui est la condition de possibilité de la visibilité du monde représenté. La diaphanéité est la définition technique-théorique de l’écran plastique de la représentation. »

Théorie et sidération

p.135
Du point de vue d’une théorie de la peinture qui « autorise la maitrise de la réalité, son appropriation ou sa propriété », « l’œuvre de peinture du Caravage est un scandale : le paradoxe d’une représentation qui à la fois expose sa propre loi et l’annule puisque le tableau devient le simulacre et cesse d’être re-présentation et du même coup se rend impropre – impur par excès de propriété : le tableau du Caravage montre, représente l’excès de la représentation qui la fonde et l’autorise. »

p.138
L.M. explique en quoi théorie = académisme (discours académique : méta discours s’effectuant à partir d’un système de normes, références, principes).
Chez le Caravage c’est l’effet qui prime, « le tableau provoque un effet de voir. Dès lors le tableau ne peut être considéré comme l’application d’un système, comme la résultante (ou le message) d’un code a priori dont le discours sur la peinture serait l’expression théorique, mais à l’inverse, le tableau produisant un effet de « voir », se constitue comme force, il opère une distribution des effets de vision. »

p.140
L.M. parle d’une « annihilation de l’action » chez Caravage.
« « La force de la couleur » a pour effet dans un tableau qui se donne comme représentation narrative de « stupéfier » l’action, de bloquer le récit possible des actions humaines, en déclenchant dans le spectateur la pulsion du voir (la pulsion scopique). »

Opposition entre l’instant de représentation chez Le Brun et Poussin, et l’instant de vision chez le Caravage.

p.142
Chez Caravage : « effet de représentation comme stupéfaction »
« Effet réaliste-plastique de surprise et de sidération »
Notion de « pulsion couleur ».

p.150, 151
Tête de Méduse, 1598
L.M. fait le parallèle entre Persée usant de sa ruse pour tromper Méduse avec sa propre arme : le regard mortel. Se servant d’un bouclier miroir pour lui renvoyer son reflet, sa représentation même, il « utilise la ruse, la rétorsion rusée qui consiste à redoubler contre elle sa propre force, à substituer le regard de Méduse au sien, c’est-à-dire la force du regard de la Gorgone à la faiblesse de son propre regard, à mettre dans l’œil rond de bronze de son bouclier, le regard-mortel de la Méduse. »
De la même façon, Caravage met en place « le procès de représentation en son miroir (réflexif-reflétant) est un dispositif de ruse, le prospect, un office de raison qui est, à l’envers, le renversement, la réflexion, la rétorsion de la raison. Il y est bien question d’un piège du regard, par l’œil.»

p.152
« Le tableau, c’est d’abord Méduse qui se méduse, violence polémique dans l’instant présent-immédiat de son retournement […]. »