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jeudi 20 décembre 2012

Opacité de la peinture - Louis Marin



Louis Marin, Opacité de la peinture, Essai sur la représentation au Quattrocento, Usher, 1989.

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Résumé (fait par l’EHESS) :
 Procédant à rebours, Louis Marin projette sur les œuvres italiennes du Quattrocento la théorie du signe et de la représentation élaborée à Port-Royal au dix-septième siècle. Il dévoile les ruses par lesquelles l’image parvient à s’imposer comme vraie du point de vue de la perception, mais aussi et surtout du point de vue de la légitimité politique et religieuse qui l’autorise. Comment la peinture d’his­toire parvient-elle à se présenter comme objective et vraie ? Comment la peinture religieuse peut-elle figurer des mystères ? Comment l’auteur, le peintre, parvient-il à trouver une place dans sa peinture ?
Le recueil s’ouvre sur une théorie autonome de la représentation. Louis Marin y analyse trois fresques peintes au tournant du quatorzième siècle. Ces structures prennent tout leurs sens dans l’opération de recomposition qu’elles proposent au spec­tateur et que Marin analyse dans les détails. Conduite à partir d’une méthodologie d’analyse structurelle des textes, la deuxième partie s’attache davantage à l’opération de mise en figure des quelques récits fondateurs de la religion chrétienne. Chacun des six chapitres du livre est introduit par une partie théorique qui situe l’objet de l’analyse dans le débat très intense qui caractérisait la fin des années 1980.

Introduction
            Œuvres étudiées par le prisme de la sémiotique, théorie de la représentation et du signe, du signe comme représentation.
            Il s’ait de la rencontre de l’ange annonciateur de la naissance de Jésus avec la Vierge Marie à l’instant où elle conçoit sous l’ombre du Saint-Esprit. Histoire racontée par Luc.
            Entre l’ange et la Vierge on trouve Luc adossé à son bœuf. Entre les figures des acteurs narratifs sur la scène de la représentation, l’artiste a placé le narrateur du récit. Il se prépare à écrire le récit sur le rouleau déroulé. Le rouleau est encore vierge de signes :
p.11-12 : « Luc n’a rien écrit : comment l’aurait-il pu puisque l’évènement qu’il doit raconter en l’enregistrant dans les formes de l’histoire est en train de se dérouler sur la scène représentative ? »
            L’ange semble même dicter à Luc les paroles qu’il prononce : « Ave Maria gracia plena » : court-circuit entre la scène de l’histoire, celle de l’évènement et la scène du récit. Luc est aussi le saint patron des peintres.
p. 12 : « Luc est aussi dans l’œuvre de Bonfigli la figure de l’ « énonciateur », mais d’un énonciateur double : il est la figure du narrateur du récit écrit/à écrire, celle de son historien ; mais il est aussi la figure de son peintre qui donne à voir l’ « histoire » dont le récit est enregistré dans la Sainte Ecriture. »
            Luc = troisième acteur de l’Annonciation. Ce faisant, il rompt la cohérence proprement narrative du récit représenté.
p.12 : « Il ouvre, à l’égal de Dieu le Père dans le ciel, concepteur transcendant du Fils dans la Vierge, l’abîme de l’énonciation dans l’énoncé narratif que l’image ici représente : double interruption par l’intervention d’une figure du scripteur de l’histoire qui est en même temps une figure du peintre concepteur du tableau ici introduit non par son image, son portrait (ainsi Pinturicchio dans l’Annonciation de Spello), mais par l’effigie du patron des peintres, Luc, qui pourtant ne peint pas, mais écrit ; qui écrit toutefois sans écrire (il n’a encore rien écrit) ; il écrit dans le silence du dire d’un dit « en blanc », silence de la poésie muette qu’est la peinture. »

Première partie, Les architectures de la représentation.
            Luca Signorelli à Lorette (c. 1479-1484) (coupole et parois de la sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, dans le sanctuaire de N.-D. de Lorette, v.1479)
I.              Le « texte » passé comme objet théorique contemporain.
Fresques de Signorelli à Lorette : problème de la relation entre la théorie sémiotique contemporaine et le texte littéraire passé.
p. 16 : « L’hypothèse implicite est donc la suivante : 1) le texte littéraire, objet de langage et langage-objet immergé dans l’histoire et considéré immédiatement comme tel, recèlerait dans l’immanence de ses formes et de ses images, le métalangage qui en permettrait l’interprétation, les principes et les procédures qui en fourniraient la compréhension, la théorie qui en offrirait l’explication ; 2) le métalangage dessinerait – à l’explicitation près – un des profils possibles de la théorie contemporaine. »
p. 17 : «  D’où la question posée sur un texte « iconique » singulier de la fin du Quattrocento – les fresques de Signorelli à Lorette : à quelles conditions historiques et théoriques un texte peut-il se constituer en un objet théorique, qui serait ainsi le produit commun de la force et du déplacement du texte littéraire ou artistique passé et de la théorie sémiologique contemporaine, de leur mise en travail réciproque ? »
« Comment donc le texte passé « devient-il » « objet théorique » ? »
p. 17 : « Toute œuvre littéraire ou artistique n’existe que comme signe et agencement déterminé de signes. […] Mais, en outre, tout énoncé dit quelque chose de son énonciation, il la commente, la décrit, il la montre par le fait même qu’il existe en tant qu’énoncé (vorweisen, to show). […] Le discours-fait-texte qu’est toute œuvre littéraire ou artistique peut donc ainsi être considéré comme un ensemble d’énoncés qui à la fois disent quelque chose  (assertent, ordonnent, interrogent, expriment…) et montrent qu’ils disent quelque chose. […] l’objet théorique se construira dans une œuvre déterminée à partir de l’ensemble des énoncés qui en réfléchiront l’énonciation. »
Dimension de « réflexivité interne ». Réflexion du texte sur lui-même.
« texte iconique »
Chez Marin, la notion de texte recouvre aussi celle du discours artistique par le biais de l’expression « texte artistique » ou « texte iconique » (= image).
II.            La coupole : architecture et décor.
v. 1479. Sacristie dite de la Cure ou de Saint-Jean, au sanctuaire de N.-D. de Lorette.
Commanditaire : cardinal Girolamo Basso della Rovere.
p. 22: « Deux schèmes concourent à la constitution de l’œuvre étudiée : l’un, schème organisationnel, qui définit la structure théorique du texte iconique ; l’autre, schème d’inscription de ce texte, qui en propose la paradigmatique de surface. Le premier définit une structure, c’est-à-dire un groupe spécifique de transformation ; l’autre propose les figures qui, dans leur espace propre, en opèrent l’investissement historique et idéologique. »
III.           Les anges et la coïncidence des opposés.
Juste autour de la clé de voûte : anges musiciens, (p.23), « au plus proche du point théophanique ». « Figuration possible de la musique qui anime la sagesse éternelle de Dieu comme celle qui règle l’ordre et les mouvements célestes. »
« double imitation humaine de la musique divine : la plus haute en dignité est celle du vers et du mètre, la plus basse celle des voix et des instruments ; c’est cette double analogie imitative qui est offerte à la contemplation par la première couronne figurative de la coupole avec les huit figures des anges instrumentistes (imitation inférieure), les proportions qui rythment leur disposition et avec la métrique des membrures architectoniques qui en scandent la composition (imitation supérieure). Anges tout de même silencieux car aucun de chante et deux d’entre eux n’ont pas d’instrument de musique. »
p. 26 : « Ainsi se trouve visuellement transposée la coïncidence des contraires opérée dans le point implexe-complexe de l’infini central, mais aussi bien se trouve définie, au sens visuel du terme, la peinture qui fait voir du mouvement avec du repos, du sonore et du musical avec le silence et, ajouterons-nous, dans le volume concave de la coupole, du relief avec du plat… »
IV.          Evangélistes et docteurs : la voix absente et l’écriture du texte.
Coupole à huit pans : 4 évangélistes et 4 docteurs de l’Eglise latine : saint Jean et saint Augustin, saint Luc et saint Jérôme, saint Matthieu et saint Amboise, saint Marc et saint Grégoire.
p. 27 : Sur la différenciation du statut des évangélistes et des lecteurs : « Autrement dit, à travers cette opposition marquée entre les symboles traditionnels et les signes fonctionnels dont les uns permettent d’identifier en nommant [évangélistes] et les autres de reconnaître en situant « socialement » [lecteurs], s’esquisserait l’opposition entre le mythe et l’histoire, la symbolique de l’origine et les marques du temps, mais dans laquelle l’histoire récupérerait, dans et par son écriture, la tradition comme une des « parties » de son texte. »
Analogie entre le comportement des anges et l’activité des évangélistes et des lecteurs : les anges joueraient les partitions écrites par les évangélistes et les lecteurs.
V.            Les disciples affrontés et la conversion.
Autres panneaux : les apôtres s’affrontent deux à deux.
VI.          Conclusion
p. 43 : « De façon plus précise, ce « tableau » [scène de saint Thomas l’incrédule], à la fois représentation et « méta-représentation », par son insertion dans l’ensemble du décor de la coupole et dans l’espace architectural qu’elle définit, la constitue bien comme cet objet théorique où l’œuvre se réfléchit elle-même en énonçant les conditions à la fois théoriques et historiques de son énonciation. Et nous avons vu que, dans toute la coupole, des anges aux disciples, il n’est question que d’énoncés et d’énonciation, de dits et de dire et plus encore d’écrits, d’écriture, de lecture d’écriture et d’écriture de lecture, sauf dans les deux tableaux de conversion de Paul et de Thomas om la vision devient aveugle et la voix inaudible, où le texte devient corps supplicié le signe, plaie ouverte et la lecture-écriture, un toucher, une pénétration, un aveuglement. Il est vrai que, dans les deux cas, il ne s’agit plus de savoir (la vérité) mais de croire. »
«  Mais là encore, comme dans le paradigme de la hiérarchie valorisante, le dispositif structural que nous venons de suggérer hésite indécidablement entre d’une part le renvoi à un épisode de l’Histoire sainte, roc référentiel, à la fois vérité et réalité qui fournirait aux représentations des disciples affrontés la finalité et le sens de leur fonction réciproque et d’autre part le renvoi à une image illustrant les deux textes sur lesquels les deux disciples disputent, un argument de plus dans la disputatio et l’eruditio des glosateurs et commentateurs des livres sacrés, mais un argument qui, à la différence des autres mis en avant par les doctes, se métamorphoserait de page écrite (ou lue) en image peinte (ou contemplée) : illustration ou mieux citation iconique qui, échappée du volume du livre, de la grisaille des signes écrits, serait devenue autonome, peinture de plein droit. Dès lors, tout en réfléchissant au niveau de son énoncé les conditions de l’énonciation du discours-texte en général, ce « tableau » comme représentation, énonciation, monstration, ferait apparaître  l’image de peinture, marquerait son avènement éclatant puisqu’avec elle, grâce à elle et à sa puissance merveilleuse de faire revenir les morts, comme le disait déjà Alberti, « croiront ceux qui n’auront pas vu ». »

            Pinturicchio à Spello (Lachapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation, 1501)
Sur la fonction du décor et de l’ornement, se réfère à Montaigne. (Essais, 28). Interrogation sur le signe et sur la représentation.
I. De la représentation et de la figure architecturale.
p.55 : « Toutefois, pour être opératoire, cette réflexion réfléchie de la représentation devra s’effectuer sur une figure qui en présente l’opération pour la faire échapper à elle-même et, si peu que ce soit, en dé-régler l’ « auto-asservissement ». Cette figure sera l’architecture, l’architecture que l’œuvre peinte réfléchit dans sa représentation comme son décor et son ornement et cela, afin d’en découvrir l’effet principal qui est d’exposer – figurativement – la structure même de la représentation, dans son objet propre et sa fonction rigoureuse, en un mot, son architecture.
II. La chapelle Baglioni (Santa-Maria-Maggiore) à Spello. L’annonciation.
Décorée en 1501 par Bernardino di Belto, dit le Pinturicchio.
p. 56 : « L’architecture de la chapelle « contient » une décoration dont elle constitue le cadre « extérieur », mais cette décoration « contient » à son tour des architectures qui dressent le cadre « interne » des représentations qui y prennent place et dont elles construisent le lieu. »

            Paolo Uccello au Christro Verde de Santa-Maria-Novella à Florence.
p. 73 : « Un des modèles parmi les plus opératoires construits pour explorer le fonctionnement de la représentation moderne – qu’elle soit linguistique ou visuelle – est celui qui propose la prise en considération de la double dimension de son dispositif : dimension « transitive » ou transparence de l’énoncé, toute représentation représente quelque chose ; dimension « réflexive » ou opacité énonciative, toute représentation se présente représentant quelque chose. »
Dans un même espace : deux moments : l’eau monte et l’eau descend. On voit deux arches, l’une à gauche et l’autre à droite. La lecture se fait de gauche à droite. Composition semi-circulaire.
Reprise d’éléments compositionnels du déluge mais cette fois dans un cadre horizontal. Sous le déluge.
p. 87 : « De la gauche à la droite, le spectateur s’est déplacé : selon les injonctions des représentations d’ « architecture » (la charpente de l’arche et l’autel du sacrifice ; la treille et ses troncs d’arbres alignés ; les poteaux de bois et le plafond), selon les postures du « corps » de Noé également, il a occupé trois lieux successifs, à gauche, au centre, à droite, et ce faisant, il a lui-même accompli le parcours qui, dans le registre supérieur de la fresque, était effectué par l’arche. Le spectateur s’est déplacé pour « lire » le récit que lui conte le registre inférieur : ce n’est pas le cadrage architectural qui lui en présente le lieu scénique comme dans la lunette ; ce sont les décors successifs qui le contraignent à se déplacer. On comprendra alors que l’architectonique de la représentation apparaisse dans la fresque inférieure selon sa contrainte « présentative » sur le regard. »
p.89 : « Paolo Uccello, sur le mur de la cinquième travée du Chriostro Verde, introduirait le motif vitruvien d’un progrès humain et, pour mieux dire, d’une histoire « naturelle-culturelle » de l’architecture archaïque d’une humanité, qui n’est pas tant primitive que saisie à un nouveau départ de sa destinée après le Déluge qui a la même fonction « historique » que l’expulsion du Paradis terrestre. »
p. 93 : conclusion : « Plus précisément, un des lieux de ce travail nous a semblé être, pour parler rapidement et « faire image-dans-le-langage », la barre du chiasme par laquelle la représentation de l’architecture comme actant, acteur, figure, personnage, décor ou ornement d’un récit mis en image de peinture, se renversait en architecture de la représentation, c’est-à-dire en structure, dispositif, appareil, opération construisant ou permettant de construire les relations de ce qui est représenté (le récit de l’histoire) avec les instances d’énonciation et de réception, avec l’espace et avec les lieux qu’elles investissent dans la réalité des édifices par l’imaginaire des représentations sociales, culturelles, politiques, religieuses puisées dans les riches trésors symboliques des textes antiques et chrétiens et leurs interprétations.

Deuxième partie, Les syncopes du récit.

            Piero della Francesca à Arezzo (le cycle de la sainte Croix d’Arezzo) (chapelle Bacci, Invention et preuve de la croix)
I.              La théorie narrative et Piero, peintre d’histoire
Piero était un mathématicien, qui a écrit des traités, mais était également un peintre.
p. 101 : « Mais puisque Piero fut aussi un peintre, ce renvoi pose la question de la relation entre l’œuvre du savant et celle du peintre : en quoi la pratique du peintre est-elle théorique ? »
p. 102 : « De même que la théorie prospective construit, à partir de certains principes liés par une axiomatique explicite ou implicite, une structure géométrique de la représentation de l’espace tridimensionnel dans un espace bidimensionnel, de même la théorie narrative construirait, à partir de certains principes, une structure d’ordre sémantique, syntaxique et pragmatique d’une représentation de l’histoire, ou plutôt d’une histoire, d’une représentation iconique d’un récit. »
La « théorie prospective » est une notion que l’on peut retrouver dans l’ouvrage de Piero, De Prospettiva Pingendi.
Se référer aux textes narratifs de La Légende Dorée de Jacques de Voragine (chap. 64 et 130).
Nous sommes en présence de trois éléments : le texte peint (la fresque) et la théorie prospective, et le récit (Légende dorée).Or il manque ce qui serait de l’ordre de la théorie narrative (pendant de la théorie scientifique).
II.            La Légende Dorée : la croix comme opérateur narratologique.
Chap. 64 ( de la Légende dorée) : L’Invention de la Croix
Chap. 130 : L’Exaltation de la Croix
p. 104 : « Cette première remarque concernant les récits de la Légende en général et les récits de l’Invention et de l’Exaltation en particulier, fait donc apparaître qu’il n’y a pas un temps linéaire et monodrome dans ces récits, mais des temporalités complexes en position de représentation emboîtée et enchâssée. Au schème de la ligne temporelle (unidirectionnelle), il convient de substituer celui d’un plan bidimensionnel, voire d’un espace tridimensionnel. »
p. 106 : « L’arbre de la croix n’est ni long ni court, ni large ni haut parce qu’il est à la fois long, court, large, haut : il occupe toutes les dimensions de l’espace sans cependant pouvoir être placé dans un lieu déterminé ; il est insituable. Découpé – rationabiliter – selon la proportion architecturale de la galerie, l’arbre-poutre est cependant improportionnable, mais c’est parce qu’il est apte à toutes les proportions : il est le générateur universel de la proportion en général. Il est omnifonctionnel. »
III.           Les « croisements » des parcours narratifs.
p.108 : « (…) la croix est donc, au sens fort du terme, le sujet du cycle autant que son objet. Ce n’est pas seulement l’histoire de ses avatars qui est « mise en image » - la croix comme ibjet figuré -, ce n’est pas seulement un des récits de cette histoire qui trouve avec elle son articulation – la croix comme objet figuratif -, c’est la narration même de ce récit qui acquiert avec elle à la fois sa dynamique transformationnelle et son appareil structural – la croix comme schème et opérateur (syntaxique et sémantique) iconique. »
Les croisements dont il est ici question sont ceux qu’effectuera le regard d’un spectateur idéal entre les différentes scènes, produisant certains allers-retours dans la chapelle.
IV.          Les opérations du schème de la croix.
Scène de la Visite de la reine de Saba à Salomon. Rappel des textes : la reine de Saba vient rendre visite à Salomon pour écouter sa sagesse, et elle veut franchir un lac par un pont dans lequel elle reconnait le bois sur lequel le Christ sera crucifié. Donc elle ne veut pas le traverser. Dans la scène de Piero, il y a deux moments séparés par la poutre-pont qui se trouve en plein centre. La partie gauche amorce un mouvement de la reine vers la droite, on la voit agenouillée près de la poutre. Dans la deuxième partie, à droite, on voit des colonnades qui marquent un intérieur, la reine et sa suite arrivent par la droite : elles n’ont pas traversé le pont qui relie les deux espaces, mais sont sorties de l’espace pictural pour le contourner. 
p. 115 : « Le pont du récit est figurativement une barrière infranchissable – comme il l’a été dans la vision de la reine. Le « pont » est un obstacle qui interdit leur mouvement latéral (parallèle au plan de la représentation), orientation selon laquelle elles sont cependant disposées. »
            « En revanche, en pointant l’extérieur du cadre (et, répétons-le, il ne vise pas le point de vue du spectateur « réel » mais le site « idéal » d’un regard), il permet et ordonne le passage, le transit, non pas du récit d’une séquence à la suivante, mais de la narration. Son orientation, presque perpendiculaire à celle des figures du récit, est le marqueur de leur énonciation représentative. »
Chapitre consacré à la thèse selon laquelle dans les scènes de tout le cycle de Piero, la composition est marquée par un « schème-opérateur « croix ».
p. 118 : « En effet, l’objet figuré « croix » ne se borne pas, dans la représentation de la séquence narrative, à sa figure représentée. Il effectue une opération qui n’est pas seulement celle, narrative, du miracle d’une résurrection. Il manifeste le schème opératoire qui n’a cessé de fonctionner dans le cycle et depuis le début de sa représentation. L’objet figuré est, en même temps, le schème et l’opérateur d’une mise en place des figures narratives selon une mise en scène cruciforme dans laquelle l’objet « croix » représenté comme tel est aussi la représentation d’un dispositif scénique de positionnement des figures dans l’espace (…). »

            Annonciations toscanes
I.              L’Incarnation, l’Ange, la Femme.
Le christianisme est constitué à la fois de son corps réel, « mondain » et de son corps mystique « virtuel ».
p. 125 : « l’ensemble des récits par lesquels le christianisme s’est instauré (…) racontent et disent simultanément le don et le retrait, l’oblation et la perte du corps de Dieu. »
« le corps ecclésial institué du christianisme (…) est aussi le substitut de la délégation, la « représentation » de ce corps divin donné-perdu ».
p.126 : « Représentation du corps divin et « virtuel » de ce corps, le corps ecclésial, sa configuration de croyance, est en quelque sorte le tracé d’un désir, celui de la présence réelle du corps de Dieu, tracé qui est, en fin de compte, cette « présence réelle ». »
p. 135 : « L’exceptionnelle puissance historique de ces deux récits [celui de Zacharie, Elizabeth et Jean-Baptiste et celui de Marie, Joseph et Jésus] de commencement tient à la caractéristique des acteurs des histoires qu’ils racontent d’être précisément des figures du potentiel et du pluriel du sens, qui inlassablement travailleront les représentations qui visent à les actualiser et à les « singulariser ». Parmi ces figures, il en est deux « fondamentales » : celle de l’Ange et celle de la Femme, l’une et l’autre, multivalentes, complexes, insondablement « productives » : l’Ange comme la figure de la virtualité du mystère de la venue d’un Dieu infigurable, ineffable, incirconscriptible, invisible, inaudible dans la figure, la parole, le lieu, la vision, le son, autrement dit l’Incarnation ; l’Ange figure de la virtualité du secret de l’annonce de cette venue ; la Femme comme celle de la virtualité de l’espace de cette venue et du lieu de cette annonce ; la Femme comme figure de la virtualité d’un corps qui, entre Elizabeth et Marie, cumule les contrariétés qui précisément, en font un corps « virtuel » : celui de la mère et de la vierge, de l’épouse et de la fille, de l’innocence de la jeunesse et de la sagesse du grand âge ; corps « virtuel » comme espace d’un procès de l’invisible et de l’ineffable vers la vision et la parole, et aussi comme lieu d’un retrait de l’invisible et de l’ineffable dans la vision et la parole. L’Ange et la Femme comme figures des deux pôles du religieux chrétien, pôle virtuels de la relation comme question. La rencontre de ces deux figures dans la fable inaugurale de Luc, de l’annonce à Zacharie à celle aux bergers, se déroule dans toutes les virtualités présentes ou implicites, entre voix et parole, entre  visuel et image, entre visualité de la voix et vocalité du visuel ; l’espace, le lieu, le corps, ses postures et ses gestes, le son, la voix, la parole, ses énoncés et ses modalités ; logique et économie du secret ; figuralité et topologie du mystère. »
II.            Logique du secret et représentation de l’Annonciation.
p. 136-137 : « Que Dieu prenne corps : transit qui donne à voir l’infigurable, à entendre l’ineffable dans l’image d’un corps, dans les signes d’un langage. Comment est-il possible de figurer le mystère de l’Incarnation et de faire entendre le secret de son annonciation ? D’énoncer son énonciation ? »
p. 138 : « Enonciation – Annonciation. Le rapprochement des deux termes n’est pas simple jeu de mots ou de lettres : le récit de l’Annonciation – comme représentation narrative du secret du mystère (de l’Incarnation rédemptrice) – peut être considéré comme l’exemplum, voire le paradigme (dans le domaine du discours religieux mystique) de la théorie de l’énonciation ; il exhibe narrativement la structure théorique des modes de connaissance de l’énonciation de langue, tout comme, à l’inverse, la théorie de l’énonciation constitue l’économie abstraite, générale, de la logique en acte du secret dans l’espace de communication. »
FilippoLippi, Annonciation, v. 1445, SanLorenzo, Florence. (Représentation étonnante dans laquelle les figures de Gabriel et de Marie sont décentrées sur la droite. Il y a un trompe-l’œil au premier plan d’un vase en verre contenant les lys de Gabriel.)
p. 148 : « La figure de la colonne, nous l’avons dit, est bien souvent, en Toscane, au Quattrocento, l signe-figure à forte puissance symbolique ( à la fois théologique et spirituelle) qui baliserait l’entre-deux de l’invisible et inaudible échange des paroles entre les acteurs du récit. Dans l’œuvre de Lippi, le pilastre central du premier plan – qui masque, tout en lui correspondant architecturalement, celui du portique qui conduit à la loggia de la Vierge –, ce pilastre est passé derrière l’ange. L’envoyé de Dieu a franchi la frontière qu’il balisait pour pénétrer dans l’entre-deux. Les deux Anges debout dans la moitié gauche sont en quelque sorte les traces de son déplacement. »
p. 155 : « Peinte, semble-t-il, entre 1465 et 1470, elle occuperait, à suivre la thèse de Spencer, une position de synthèse productrice ; elle serait « l’archétype pur de l’Annonciation avec une postérité sans précédent (jusqu’à Véronèse) ». »
«  L’Ange contemple avec adoration la Vierge qui vient d’accepter d’être la mère de Dieu. Entre-deux narratif et temporel : l’échange invisible des paroles inaudibles vient d’avoir lieu. »
« Qu’y a-t-il donc entre l’Ange et Marie ? A « construire » les lieux de l’Ange et de la Vierge, l’opération géométrique découvre que, selon le plan au sol scénique et le géométral des architectures que ce sol supporte, l’Ange ne peut voir la Vierge, dissimulée par un massif de colonnes. En revanche, visuellement, irrésistiblement, l’œil sensible du spectateur ne peut s’empêcher de voir que l’Ange voit la Vierge, que celle-ci est visible à l’Ange qui la regarde. (…) c’est par cet écart que l’invisible accède à une figurabilité et l’inaudible à une énonciabilité, seules perceptibles à l’œil et à l’oreille de l’âme : parfaite et singulière exposition de l’économie du secret par le chiffre à double sens de la perspective. »

            Filippo Lippi à Prato
(dernier chapitre, pas lu…)

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