Bienvenu sur ce blog réalisé par les étudiants de l’Université Rennes 2 qui préparent le concours de l’agrégation arts plastiques, et qui a pour but de mutualiser et partager des savoirs relatifs à ce concours.

Un grand nombre des articles que vous trouverez ici vous présenteront des fiches de lecture concernant les livres indiqués dans les différentes bibliographies relatives aux épreuves écrites.

N’hésitez pas à ajouter vos commentaires, indications et liens utiles.

mardi 22 janvier 2013

"L'image intolérable" - Jacques Rancière, in Le spectateur émancipé.

Jacques RANCIERE, « L'image intolérable », Le spectateur émancipé, Paris : La Fabrique, 2008.

Résumé du texte : Rancière s'intéresse aux images « intolérables » : celles qu'on voit quotidiennement mais qui expriment une horreur. Il y a toujours une ambivalence entre le courage affiché de présenter ce type d'images et le risque de tomber dans un voyeurisme malsain. Plusieurs interrogations : l'image doit-elle culpabiliser le spectateur ? Dans quelle mesure ?
l'image par rapport aux mots : l'irreprésentable (de la Shoah) doit-il s'exprimer par des mots (témoignages?) ou des visuels ? L'image ne peut pas rendre compte de tout, elle n'est pas l'équivalent d'un fait mais un autre type de rapport avec celui-ci, de même que le témoignage oral.
Comment l'art contemporain est-il en mesure de dépasser le régime de l'Information pour établir une autre relation à l'irreprésentable ?

Notes de lecture :

p. 93 : « Qu'est-ce qui rend une image intolérable ? »
    • les traits de cette image ;
    • ET autre question : « est-il tolérable de proposer à la vue de telles images ? »
S'appuie sur une œuvre d' OLIVIERO TOSCANI : affiche d'une jeune femme anorexique placardée dans tout Milan lors de la semaine de la mode en 2007. plusieurs questions apparaissent :
    • dénonciation courageuse ?;
    • exhibition de la vérité du spectacle : belle apparence mais aussi réalité abjecte ?
p.93 : « Le photographe opposait à l'image de l'apparence une image de la réalité. (…) On juge que ce qu'elle montre est trop réel, trop intolérablement réel pour être proposé sur le mode de l'image. (…) L'image est déclarée inapte à critiquer la réalité parce qu'elle relève du même régime de visibilité que cette réalité, laquelle exhibe tour à tour sa face d'apparence brillante et son revers de vérité sordide qui composent un seul et même spectacle. »
p.94 : « Ce déplacement de l'intolérable dans l'image à l'intolérable de l'image s'est trouvé au cœur des tensions affectant l'art politique. (…) [sur les collages sur le Vietnam de Martha Rosler] Il n'y aurait alors plus d'intolérable réalité que l'image puisse opposer au prestige des apparences mais un seul et même flux d'images, un seul et même régime d'exhibition universelle, et c'est ce régime qui constituerait aujourd'hui l'intolérable. »
L'image, pour être effective politiquement (et pour que le spectateur ne se contente pas de fermer les yeux), doit déjà nécessiter une sorte d'adhésion implicite au discours artistique.
p. 95 : « En bref, [le spectateur] doit se sentir déjà coupable de regarder l'image qui doit provoquer le sentiment de sa culpabilité. »
Sur Guy Debord, La Société du spectacle. L'image n'a plus le pouvoir de montrer l'intolérable. p.96 : « La seule chose à faire semblait être d'opposer à la passivité de l'image, à sa vie aliénée, l'action vivante. »
p. 97 : « [Debord] demande que nous prenions à notre compte l'héroïsme du combat, que nous transformions cette charge cinématographique [celle d'un Errol Flynn dans un western hollywoodien], jouée par des acteurs, en assauts réels contre la société du spectacle. » Mais la démonstration de notre culpabilité nous dit aussi que nous n'agirons jamais.
Sur des photographies d'Auschwitz présentées lors d'une exposition parisienne, Mémoire des camps. Deux positions se font face : soit l'image est intolérable parce que trop réelle ; soit l'image de représente pas l'extermination des Juifs parce que ce fait est irreprésentable (position de Gérard Wajcman). Il affirme que c'est un savoir, un « nouveau savoir. » Mais selon Rancière, p.100 : « Qu'est-ce qui distingue la vertu du témoignage de l'indignité de la preuve ? Celui qui témoigne par un récit de ce qu'il a vu dans un camp de la mort fait œuvre de représentation, tout comme celui qui a cherché à enregistrer une trace visible. »
p. 102-103 : A propos de la distinction des différents types de témoignages. En résumé : est meilleurs témoin celui qui ne veut pas témoigner parce que son silence exprime à lui seul l'indicible de l'intolérable. «  Et le commentateur qui déclarait impossible de distinguer sur la photographie d'Auschwitz les femmes envoyées à la mort d'un groupe de naturistes en promenade semble n'avoir aucune difficulté à distinguer les pleurs qui reflètent l'horreur des chambres à gaz de ceux qui expriment en général un souvenir douloureux pour un cœur sensible. La différence, de fait, n'est oas dans le contenu de l'image : elle est simplement dans le fait que la première est un témoignage volontaire alors que la seconde est un témoignage involontaire. La vertu du (bon) témoin est d'être celui qui obéit simplement à la double frappe du Réel qui horrifie et de la parole de l'Autre qui oblige. »
p. 103 : Sur le statut de l'image : « La représentation n'est pas l'acte de produire une forme visible, elle est l'acte de donner un équivalent, ce que la parole fait tout autant que la photographie. L'image n'est pas le double d'une chose. Elle est un jeu complexe de relations entre le visible et l'invisible, le visible et la parole, le dit et le non-dit. (…) Elle est toujours une altération qui prend place dans une chaîne d'images qui l'altère à son tour. »
p. 104 : « [Les larmes] sont à la place des mots qui étaient eux-mêmes à la place de la représentation visuelle de l’événement. Elles deviennent une figure d'art, l'élément d'un dispositif qui vise à donner une équivalence figurative de ce qui est advenu dans la chambre à gaz. Une équivalence figurative, c'est un système de relations entre ressemblance et dissemblance, qui met lui-même en jeu plusieurs sortes d'intolérable. »

Comprendre les usages de l'image avec l’idolâtrie, l'ignorance ou la passivité.
S'arrête sur l'artiste chilien Alfredo Jaar à propos de ses œuvres sur le génocide rwandais en 1994.
Installation Real Pictures : boîtes noires dans lesquelles sont enfermées des photographies de Rwandais qu'on ne peut pas voir. On sait ce que contiennent les boîtes grâce à une description, une légende. Ici opposition apparente entre texte et image. Pourtant le texte ne tente pas de se substituer à l'image mais instaure un autre type de relation avec elle. p. 105 : « Il s'agit de construire une image, c'est-à-dire une certaine connexion du verbal et du visuel. Le pouvoir de cette image est alors de déranger le régime ordinaire de cette connexion, tel que le met en œuvre le système officiel de l'information. »
Opinion courante : ce système d'information nous submerge d'images d'horreurs. Rancière explique au contraire qu'il n'y a que peu d'images d'horreurs, qu'elles sont très finement choisies mais qu'au contraire une masse de commentateurs nous explique ce qu'il y a d'horreur dedans et ce que nous devons en penser. p.106 : « Si l'horreur est banalisée, ce n'est pas parce que nous en voyons trop d'images. Nous ne voyons pas trop de corps souffrants sur l'écran. Mais nous voyons trop de corps sans noms, trop de corps incapables de nous renvoyer le regard que nous leur adressons, de corps qui sont objet de parole sans avoir eux-mêmes la parole. (…) La politique propre à ces images consiste à nous enseigner que n'importe qui n'est pas capable de voir et de parler. »

Déplacement de la question : faut-il ou non montrer ces images intolérables ? À celle du : quel dispositif pour les montrer ?
p.111 : « Le traitement de l'intolérable est ainsi une affaire de dispositif de visibilité. (…) Le problème n'est pas d'opposer la réalité à ses apparences. Il est de construire d'autres réalités, d'autres formes de sens commun, c'est-à-dire d'autres dispositifs spatiaux-temporels, d'autres communautés des mots et des choses, des formes et des significations. »

Nécessité d'une résistance à l'anticipation des effets. Sur le travail sur le conflit israélo-palestinien par Sophie Ristelhueber.
p.114 : « Je parle ici de curiosité, j'ai parlé plus haut d'attention. Ce sont là en effet des affects qui brouillent les fausses évidences des schémas stratégiques ; ce sont des dispositions du corps et de l'esprit où l’œil ne sait pas par avance ce qu'il voit ni la pensée ce qu'elle doit en faire. Leur tension pointe ainsi vers une autre politique du sensible, une politique fondée sur la variation de la distance, la résistance du visible et l'indécidabilité de l'effet. Les images changent notre regard et le paysage du possible si elles ne sont pas anticipées par leur sens et n'anticipent pas leurs effets. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire